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des plantes. Dans de grands sacs de toile entr’ouverts, on aperçoit les pâles violettes, les coquelicots d’un rouge obscur, les lichens transparens pareils à de la corne recroquevillée, les camomilles trop odorantes, les absinthes, qu’on ne peut voir sans tristesse lorsqu’on pense à quoi elles servent aujourd’hui, toute l’admirable famille des labiées si puissante et si précieuse, — les sauges, les menthes, les romarins. Puis viennent les consolatrices, ellébores et daturas, — les bois de Gayac, les cassias amaras en bûches ou en cotrets, les écorces d’orange, les coloquintes odieuses d’amertume, les safrans, qui, regardés à jour frisant, ont des tons pourpres magnifiques, les reines des prés, qui poussent les pieds dans l’eau et combattent l’hydropisie, les valérianes, qui donnent aux chats de si étranges illusions. Tous les simples de la nature semblent réunis ; cependant j’ai cherché la mandragore qui chante, et je ne l’ai point trouvée. — Au premier étage, dans une salle où se font les expertises scientifiques sans lesquelles nul médicament n’est accepté, des tiroirs glissant les uns sur les autres et s’élevant du plancher au plafond contiennent les drogues qui doivent être soustraites au contact de l’air, ou dont on n’use qu’en petite quantité : seigle ergoté, feuilles de jusquiame, fleurs de genêts sauvages. Le nom des médicamens est écrit sur les boîtes qui les renferment ; il est curieux de les lire lorsqu’on se rappelle que l’établissement a été outillé à neuf en 1812 : on voit alors quels pas immenses la médecine a faits de notre temps, combien le vieil empirisme cabalistique du moyen âge a été lent à disparaître devant la science expérimentale, et l’on ne peut s’empêcher de sourire à cette nomenclature de substances que n’auraient point désavouées les sorcières de Macbeth. Un partisan de l’école de Salerne bondirait de joie en retrouvant l’indication de ces alexipharmaques si fréquemment employés jadis, le sang de bouquin, les yeux d’écrevisse, la corne de cerf râpée que le phosphate de chaux a remplacée, le corail rouge, la poudre de vipères et les cloportes. — Il n’y a pas bien longtemps qu’on administrait encore cette dernière drogue prétendue diurétique ; aujourd’hui on l’épargne aux hommes et on ne la donne plus qu’aux chevaux, c’est un progrès.

Le laboratoire est en activité constante. Enfoncées dans un immense fourneau de fonte, des bassines en cuivre contiennent des liquides, épais, visqueux et bouillonnans, qui sont des sirops antiscorbutiques, des sirops de gomme et de salsepareille. Quelques hommes, le front en sueur et la main armée de larges spatules de bois, agitent ces mélanges, qui sont mis en bouteilles aussitôt qu’ils sont refroidis. Dans de vastes cuves, la poudre de quinquina macère, baignée d’alcool ; un tailloir mû par la vapeur coupe le bois de