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et aucune fiction ne se glissait dans les comptes. Il n’arrivait pas alors qu’en amortissant d’un côté on empruntât de l’autre avec quelque variété dans les formes. On ne répondrait plus aujourd’hui aussi hardiment de cette sincérité dans les écritures livrées au public. Il y a des chiffres qui, à un moment donné, semblent comme figés, 2,600 millions de dollars par exemple. Malgré les sommes qu’on indique comme remboursées, ce chiffre est revenu plusieurs fois, probablement diminué ou grossi par des affluens alternatifs : d’où l’on doit conclure avec M. Wells, le commissaire du revenu, que, pour l’ensemble et dans les détails, le produit des taxes a fléchi, soit directement par une diminution de la consommation générale, soit incidemment par le détournement au profit d’industries locales de quelques consommations spécifiées, ce qui condamnerait les hauts tarifs à la fois pour ce qu’ils font et pour ce qu’ils empêchent. C’est donc un premier but qui échappe ou qui du moins s’éloigne ; il y a en outre des intérêts majeurs presque irrémédiablement compromis : j’ai nommé le commerce et la navigation, dont la grandeur enivrait autrefois les Américains, dont la décadence les navre aujourd’hui de douleur. Pour peu qu’on ait vécu dans nos ports ou parcouru les ports anglais, on sait quelle figure y faisait le pavillon étoilé ; à Liverpool, au Havre, il l’emportait quelquefois en nombre sur les pavillons nationaux, il hantait toutes les mers, commandait le respect à toutes les puissances. La guerre civile une fois allumée, quels vides, et comme ils se réparent lentement ! Des 42,000 bâtimens, entrée et sortie comprises, dont se composaient en 1860 les flottes marchandes, à peine en reste-t-il 12,000, auxquels les caprices du tarif enlèvent une portion de leurs élémens de transports. Il en est de même des échanges, sur lesquels ont pesé coup sur coup les calamités de la guerre et les maladresses de la paix ; ce qui est resté d’intact après les événemens en est à se débattre contre le vice des institutions. Le chiffre des importations et des exportations réunies est tombé, suivant les articles, d’un tiers ou de moitié au-dessous des chiffres de 1859 et de 1860, témoin le coton qui de 4 millions 1/2 de balles récoltées en 1860 est descendu en 1867 à 1,957,988 balles, dont le cinquième reste en Amérique pour les besoins de l’industrie régnicole. Cet état de marasme gagne les autres branches de l’agriculture, qui s’en est longtemps préservée, et par un accord assez rare les plaintes ne sont pas moins vives à Chicago, la métropole rurale, qu’à New-York, la métropole du commerce et de la navigation. Tout s’enchaîne d’ailleurs dans cette série de faits ; c’est la revanche du débouché, qui partout reprend son niveau : dès qu’un pays le ferme ou le restreint, il s’expose à ce qu’on lui en fasse autant.