Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’une pèsera sur la fortune publique, l’autre sur les fortunes privées ; c’est encore la valeur vénale de 4 millions d’esclaves et la moins-value des terres que leurs bras mettaient en rapport, enfin les dommages que l’on a vus se succéder, le dépérissement de la marine marchande et des échanges qu’elle défrayait, une brusque liquidation d’affaires suivie d’un temps d’arrêt de quatre ans, tout ce que peut en un mot amener à sa suite un choc essuyé en pleine marche et au bord d’un abîme. Voilà le bilan des désastres ; comment les réparer quand on revient à soi ?

Ici, pour être juste, il y a deux parts à faire dans la conduite du parti républicain, qui, ayant mené la guerre, avait l’incontestable droit de régler la paix. Dans la première, tout est à louer ; dans la seconde, il y a beaucoup à reprendre. La part qui est à louer, la voici. Quoique les blessures de l’Union saignassent-encore, le parti républicain, c’est-à-dire la grande majorité du congrès, n’hésita point à signaler son réveil par une revanche contre les gouvernemens qui lui avaient montré leur mauvais vouloir dans le cours des hostilités, contre l’Angleterre en élevant le conflit qui dure encore sur la responsabilité encourue par celle-ci dans les déprédations des corsaires qui avaient pris l’estuaire de la Mersey pour port d’armement et de refuge, contre la France en lui imposant à bref délai l’évacuation du Mexique par une mise en demeure presque impérative. En même temps, après avoir prouvé au dehors que l’Union était encore debout, le congrès dégagea et allégea du mieux qu’il put la situation intérieure. La première mesure de salut était de ramener un budget de guerre à un budget de paix ; pour cela, on trancha dans le vif. Un désarmement immédiat fut ordonné ; on licencia l’armée, on congédia la marine militaire, on brisa les cadres, on mit à l’encan le gros du matériel, on commença la liquidation des pensions aux victimes de ces campagnes calamiteuses. Dans tous ces actes, pas une erreur de conduite, le congrès s’y montra aussi décidé pour les économies à faire que généreux pour les indemnités à répartir. Sur un autre point, il ne fut pas moins bien inspiré. A quelques égards, la lourde dette qui allait peser sur la nation avait été contractée dans des conditions excessives, et, comme beaucoup d’autres états, l’Union en aurait pu prendre prétexte pour imposer à ses créanciers des réductions arbitraires. Parmi les nationaux, des gens sans scrupules le conseillaient, et ne reculaient même pas devant la banqueroute. Ce sera l’éternel honneur du congrès d’avoir repoussé ce conseil odieux, maintenu en entier ses engagemens et donné à l’Europe cette leçon de probité. Tout cela, comme on le voit, était régulier, conforme à la tradition, digne du peuple au nom duquel on agissait. C’est ici seulement que les fautes commencent.