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ranimer son crédit et de relever sa fortune. Ces moyens sont des plus simples et des mieux indiqués : affranchir le pays des artifices qui l’énervent pour le rendre à ses forces naturelles, prêter moins d’attention à des industries qui, livrées à elles-mêmes, ne s’en porteraient pas plus mal, enfin songer de nouveau aux trois instrumens qui ont tant aidé à la grandeur de l’Union, et dont on semble aujourd’hui négliger les services : le commerce, la navigation et l’agriculture.


II

Comme tout ce qui est du domaine de l’inconnu, les destinées de l’Amérique du Nord ont été l’objet de beaucoup d’hypothèses. On connaît celle d’Abraham Lincoln, lorsque dans la période la plus critique il eut à défendre l’Union contre la perspective d’un démembrement. Sa grande âme en écartait la pensée comme un mauvais rêve, et pour la combattre il s’appuyait sur la configuration du pays. La carte sous les yeux, il demandait aux scissionnistes les plus résolus comment et sur quel point il serait possible d’opérer un partage dans l’immense vallée, découpée en éventail, dont l’Ohio, le Missouri et le Mississipi recueillent et disciplinent les eaux. En dehors de ce bassin s’étendaient, il est vrai, deux tranches distinctes de territoire baignées chacune par un océan et adossées à de hautes chaînes semées de plateaux, — les monts Alleghanys et les Montagnes-Rocheuses ; mais c’était là une partie intégrante du même empire, des vigies planant sur les eaux et en regard l’une de l’Europe et de l’Afrique, l’autre de l’Asie et de la Polynésie, comme l’était l’embouchure du Mississipi pour le golfe du Mexique et l’Amérique du Sud, comme le seront plus tard les grands lacs et le cours du Saint-Laurent pour des régions polaires, quand le Saint-Laurent et les lacs appartiendront à leurs possesseurs naturels. De ce bel ensemble ayant des ouvertures sur toutes les parties du globe, il n’y avait rien à détacher, rien à distraire ; vainement eût-on cherché ailleurs un autre cadre pour 300 millions d’hommes, pour les cultures les plus variées, les arts les plus productifs, la marine la plus florissante, le commerce le plus étendu ; la nature n’a pas deux fois de ces prodigalités, et bon gré, mal gré, il fallait en conclure que l’Union devait être ainsi ou ne pas être.

Qu’il y eût beaucoup d’illusion dans cet horoscope d’Abraham Lincoln, ce n’est pas douteux ; mais ces illusions ont un titre au respect, il. les a payées de son sang. Il entendait que le pouvoir dont on l’avait investi ne déchût pas dans ses mains, et, à tout prendre, il y a réussi ; à sa mort, l’Union était reconstituée. Monroë aussi