Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

insupportable encore. On se risque dans le commerce contre un blocus fictif, souvent même contre un blocus réel, quitte à supputer les chances qu’on a de le forcer de manière ou d’autre et à diriger ses spéculations en conséquence. L’opération se résout alors en une question d’assurance maritime ; mais que faire contre une police qui, de Dresde et même bientôt de Saint-Pétersbourg à Nantes et de Copenhague à Cadix, viendrait fouiller les fabriques et les entrepôts, les magasins et les boutiques, et saisir tout ce qui serait ou paraîtrait marchandise de provenance anglaise ? Rien n’était mieux combiné pour tuer le commerce anglais et le commerce du monde entier. Plutôt cent fois le système anglais, tout gênant qu’il fût, que ce système impérial avec son implacable inquisition !

S’il y avait un coin de l’Europe où ces doléances fussent aussi vives que naturelles, c’était la Hollande. Dans ce pays, où l’industrie locale était alors très peu développée, on ne vivait que de la culture des terres et du commerce ; les terres fournissaient en abondance la viande, le fait et le fromage, ce qui était une grande source de richesse, mais pour le reste l’agriculteur devait tirer de l’étranger ce qu’exigeaient ses besoins. Dans les villes, tout le monde ou à peu près faisait du commerce, et il n’y avait pas moyen d’en faire sans se mettre en rapport direct ou indirect avec l’Angleterre et ses colonies. Malgré la politique indulgente de Louis, le commerce hollandais souffrait énormément depuis la rupture de la paix d’Amiens. Il faut lire, dans les lettres que le jeune Niebuhr[1], séjournant alors en Hollande, adressait à son père et à son beau-frère, les lamentables statistiques qu’il recueillait dans ses excursions à travers le pays. Beaucoup de maisons hollandaises avaient en Angleterre des succursales ou des maisons associées ; d’autres y avaient placé antérieurement leurs capitaux. On correspondait par des voies indirectes, dispendieuses, ou bien par des moyens interlopes, en se servant des smoggleurs des deux nations, dont la race, favorisée par la longueur des guerres, se recrutait sans cesse. C’était coûteux, souvent dangereux, toujours fort pénible ; mais enfin, si l’on ne vivait pas largement, on vivotait ; les fortunes ne se perdaient pas entièrement, les lourds impôts qui grevaient le pays trouvaient quelque chose à frapper. Le roi Louis, dont les sentimens d’économiste étaient déjà très affectés des gênes que l’état de guerre imposait au commerce, fut atterré par la promulgation du décret de blocus continental. Il refusa de le publier dans sa teneur littérale, du moins il n’en ordonna l’application qu’aux régions de la Frise orientale qui

  1. Le futur historien était alors attaché de la légation prussienne. Les lettres dont nous parlons se trouvent dans ses œuvres posthumes, Nachgelassene Schriften nichtphilologischen Inhalts, Hambourg 1842.