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vrai roi de Hollande, si, comme son ambition naturelle devait l’y incliner, il en épousait les intérêts vitaux, on pouvait attendre de son accession au trône un soulagement sérieux. Pour le reste, Dieu était grand, l’avenir aussi, et quand l’Europe serait rentrée dans des conditions normales d’existence, on aviserait. En un mot, avec son sens froid et le tour ordinairement positif de ses raisonnemens, le peuple hollandais se trouvait dans une situation d’esprit analogue à celle d’un homme en possession d’une grande opulence et qui perd tout à coup la moitié de sa fortune. Il est clair que cette perte lui est très sensible ; mais, comme il lui en reste assez pour vivre honorablement, et qu’avec de la patience, du savoir-faire, il peut espérer de la reconstituer, une fois le premier étourdissement passé, au lieu de s’abandonner à un stérile désespoir, il se résout à tirer le moins mauvais parti possible des circonstances qui s’imposent à lui, et se console en pensant qu’il aurait pu lui arriver pire. Si l’on veut encore, c’était un mariage de raison qui pouvait, avec de la bonne volonté mutuelle, aboutir à l’inclination.

Une seule chose manquait à cette théorie, à laquelle un moment les meilleurs esprits et le roi tout le premier purent s’arrêter avec complaisance ; malheureusement cette seule chose était capitale, je veux dire la connivence du tout-puissant seigneur qui avait érigé le royaume. Louis voulait être roi de Hollande pour de vrai, si j’ose ainsi dire ; son frère n’avait voulu envoyer à La Haye qu’un préfet couronné, et même il n’entendait pas lui laisser trop longtemps la couronne sur la tête.

En attendant, le nouveau roi dit lui-même dans ses Mémoires qu’il partit « avec une grande confiance. » Il est évident et conforme au caractère que nous lui connaissons qu’il se trouvait heureux d’occuper enfin un poste élevé, où il serait chez lui, où ses talens personnels pourraient se déployer sans se perdre dans l’éclat éblouissant de l’astre dont il n’avait été jusqu’alors que l’humble satellite. Il n’est pas moins évident pour nous que ses résistances momentanées à la volonté fraternelle avaient été plus voulues que sincères ; autrement il aurait pris plus de précautions contre l’éventualité, toujours possible, d’une divergence de vues entre lui et l’empereur. Le titre de connétable, de France que celui-ci tenait à lui voir conserver l’avait bien un moment inquiété. Ce titre impliquait une dépendance peu compatible avec la dignité d’une couronne royale ; celui qui la portait restait par le fait même citoyen français, et Louis voulait se faire hollandais de pied en cap. Napoléon l’avait, paraît-il, rassuré en lui disant que ce titre n’avait qu’une signification fédérative ; le roi de Hollande serait simplement par là un des premiers dignitaires de la ligue d’états dont l’empereur des Français devait être le protecteur