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sentimens populaires : on peut dire que Corneille n’est pas plus sentencieux, et que Racine ne sait pas mieux composer ses scènes. La mort de Germanicus, à la galerie du palais Barberini, est un beau spécimen de cette noblesse un peu froide et de cette science irréprochable de composition. Cependant en même temps qu’il créait l’art français, Nicolas Poussin rendait à l’Italie un insigne service qui lui mérite de porter le nom de dernier des Italiens. L’art italien de la dernière heure, celui de l’école bolonaise, du Dominiquin, d’Annibal Carrache, contenait des germes précieux, mais qui restèrent comprimés, sinon étouffés par le poids trop lourd de la tradition et la résistance inéluctable des instincts nationaux, le germe de l’élément dramatique et le germe du sentiment de la nature. Cet élément dramatique, comme il anime déjà avec vigueur la Communion de saint Jérôme, les fresques des Martyres de saint Sébastien et de saint André du Dominiquin ! Ce sentiment de la nature, comme il fait déjà grande figure dans les toiles d’Annibal Carrache ! Quand on a vu au palais Doria les tableaux que cet artiste a consacrés à divers épisodes de la vie de la Vierge, on a presque envie de le placer au rang des plus savans paysagistes. Ce sont ces germes, combattus, étouffés, que le Poussin dégagea, et qu’il fit épanouir en une floraison grandiose et austère.

Parmi les preuves si nombreuses de génie que nous a laissées cet illustre Nicolas Poussin, il n’en est pas de plus grande que la création du paysage historique. Le premier, il a découvert en toute réalité la nature Italienne ; le premier, il en a vu le caractère héroïque et la mâle beauté. Ses paysages ne sont pas moins vrais que grands. Qui donc a pu les accuser d’être plutôt savans que sincères ? Si science il y a, ce n’est pas Poussin, c’est la nature qui s’est montrée savante en ces lieux ; Poussin n’a fait que l’interpréter fidèlement. Il ne saurait y avoir d’erreur plus grande que de croire ces paysages composés, c’est-à-dire formés de pièces rapportées, harmonieusement fondues et ramenées à l’unité par le feu calculé du génie, et de leur opposer pour la vérité et la franchise les paysagistes hollandais. Les Hollandais ne sont pas plus francs que lui, seulement ils avaient à peindre une tout autre nature, et ce sont les âmes de ces deux natures qui mettent la différence entre leur franchise et la sienne. La nature hollandaise est une charmante nature plébéienne, vachère, bouvière, fermière, laitière, pleine d’innocence, de candeur et de fraîcheur ; la nature italienne est une nature aristocratique, héroïque, pleine d’aspects sombres, passionnés, redoutables ; elle est reine, déesse, nymphe. Si les Hollandais paraissent avoir pénétré la nature avec une plus grande intimité, c’est qu’en effet la campagne plus aimable qu’ils ont peinte admet la familiarité, que