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obligé le roi de prendre vis-à-vis de lui, et il ne fait qu’ajouter à des manquemens réels le ridicule de paraître piqué du ressentiment qu’on lui a témoigné. Le roi de Prusse m’apprend à être prudent et modéré ; mais il ne me corrigera pas d’être ferme, d’autant qu’avec des caractères comme le sien c’est le seul parti qui puisse réussir, pourvu qu’il soit accompagné de beaucoup de circonspection… En passant par la Bohême et la Moravie, j’aurai un assez grand détour à faire, mais je n’aurai que 4 milles de domination prussienne à traverser, et j’en suis si excédé que je ferais volontiers 100 lieues pour m’y soustraire… Il s’agit seulement de tirer ma personne d’ici, ce que je compte faire demain matin à la pointe du jour. Je laisse ici M. Hennin chargé d’affaires du roi auprès de la reine de Pologne. Le roi de Prusse m’a fait dire le même jour que j’ai reçu des marques de son souvenir qu’il ne permettait pas qu’il restât ici. J’ai répondu que sa volonté ne pouvait détruire les ordres que j’avais eus de l’y laisser, et je lui en donne de ne pas partir à moins qu’on n’emploie la violence pour l’y obliger[1]. »

« Vous remarquerez, écrivait-il également au comte d’Estrées, ambassadeur de France à Vienne, en lui annonçant son arrivée à Prague le 26 novembre, que depuis le 14 du mois, que j’ai reçu les ambassades, de sa majesté prussienne, jusqu’au 20 que je suis parti de Dresde, elle ne m’a plus donné de marques de son humeur, d’où il arrive que toutes celles qui ont précédé sont en pure perte pour le roi de Prusse, puisque cela ne m’a pas fait partir de Dresde un quart d’heure plus tôt que je ne l’avais projeté, et qu’ainsi que je lui avais annoncé dès le commencement, ce n’a été, comme de raison, que sur l’ordre du roi que je suis parti, moyennant quoi il m’a été prouvé qu’il sentait lui-même qu’il ne pouvait pas soutenir les illégalités qu’il a commises[2]. »

A Prague, il n’était plus qu’à quelques jours de Vienne, et il brûlait d’impatience d’aller exposer lui-même à l’impératrice les hautes conceptions de politique générale qui fermentaient dans son cerveau, de plaider surtout la cause de ses chers patriotes polonais, en un mot de mettre la main lui-même sur le levier de la nouvelle alliance ; mais il attendit vainement la permission qu’il avait sollicitée de passer par l’Autriche. Aucune des insinuations très claires qu’il avait faites à ce sujet dans ses lettres au prince de Conti ne fut relevée, aucune de ses instances ne parut même avoir été entendue. En reprenant tristement sa route vers la France, il voulut au moins se donner la consolation de coucher par écrit son plan

  1. Le comte de Broglie à M. Durand, 29 novembre 1756. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)
  2. Le comte de Broglie au comte d’Estrées ; Prague, 26 novembre 1756. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)