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l’assurant de son intérêt et de son prompt secours, et que le comte de Broglie était spécialement chargé de lui remettre en mains propres, puis les tendresses de la dauphine pour ses parens, enfin une dépêche de M. de Rouillé, qui approuvait explicitement toute la conduite de son ambassadeur et lui demandait des éclaircissemens plus détaillés sur le plan de politique qu’il avait indiqué ; mais, si tout dans l’expédition officielle était effusion et complimens, en revanche les lettres du prince de Conti ne contenaient qu’humeur et reproches. La gravité inattendue de la situation semblait véritablement avoir renversé l’esprit du prince. Il se plaignait de tout, principalement du conseil donné au roi de Pologne et de l’affection qu’on lui témoignait. Suivant lui, il aurait fallu l’abandonner à son sort et l’engager à licencier son armée. Tout valait mieux que de l’avoir mis en hostilité ouverte avec la Prusse, ce qui allait nécessairement le jeter, la Pologne avec lui, dans les bras de la Russie ; et toutes ces belles réprimandes, venues si à point au milieu du feu d’une telle action, étaient envoyées au nom du roi et armées de toute l’autorité souveraine. Enfin, en post-scriptum, le prince, sentant lui-même combien son langage trahissait l’intérêt personnel plus que la fierté royale et le patriotisme, ajoutait : « J’oublie, monsieur le comte, de vous dire que j’ai fort bien remarqué, tant dans votre dernière lettre que dans la précédente,. que vous imaginez que je souhaite la ruine de la maison de Saxe, pensant que cela lui ôterait les moyens de disputer la couronne de Pologne ; je pense tout le contraire, car je suis persuadé qu’étant affaiblie, cela augmenterait sa popularité, diminuerait la crainte qu’on peut avoir d’elle, et lui serait plus utile que nuisible pour cet objet[1]. »

Ces billevesées portèrent au comble l’irritation de l’ambassadeur. Ainsi, dans cette crise suprême, et pendant qu’il tenait dans sa main la carte sur laquelle se jouait le sort de l’Europe, on recommençait avec lui ce ridicule double jeu d’ordres contradictoires, cette sotte manière de jeter sur les événemens un regard louche en poursuivant deux buts à la fois, avec la certitude de les manquer l’un et l’autre ! C’en était trop, et le péril public ne comportait plus de telles plaisanteries. Son parti fut pris d’exécuter hardiment, même en les exagérant un peu, ses ordres ostensibles, et de tenir absolument pour néant ses instructions secrètes, si tant est qu’on pût donner ce nom aux plaintes maussades du prince de Conti. Il envoya demander au camp prussien un sauf-conduit pour aller remettre lui-même au roi de Pologne la lettre du roi son maître, et, en attendant le retour de son message, il se mit à sa

  1. Le prince de Conti au comte de Broglie, 17 septembre, 1er octobre. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.).