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parcourir pour s’assurer que, si sur le fait même de l’alliance avec l’Autriche le plan adopté était conforme à son désir, tous les complémens et tous les correctifs qu’il avait proposés pour conjurer les périls de cette scabreuse évolution avaient été uniformément négligés. Le traité, comme le disait le ministre, se composait de deux parties. La première n’était qu’une simple convention de neutralité exactement calquée sur celle qui était intervenue entre la Prusse et l’Angleterre. L’Autriche, comme la Prusse, s’engageait à s’abstenir de toute participation dans la guerre actuellement allumée, et à préserver ainsi pour sa part la paix du continent. La seconde allait plus loin, elle obligeait les deux parties contractantes à se garantir mutuellement leurs possessions, à se prêter aide en cas d’agression, et à tenir, pour cette éventualité, chacune à la disposition de l’autre, un corps de 24,000 hommes, dont 18,000 d’infanterie et 6,000 de cavalerie[1].

Ce n’était donc pas la guerre immédiatement déclarée au roi de Prusse pour le faire repentir de son infidélité, aventure hardie que le comte de Broglie n’aurait pas hésité à courir ; mais, sous une apparence plus inoffensive, c’était, comme il arrive souvent aux demi-mesures adoptées dans les grandes crises, un engagement beaucoup plus compromettant, car ce n’était rien de moins qu’une déclaration de guerre en blanc mise entre les mains de l’Autriche, pour en faire usage quand et comme il lui conviendrait. Vainement était-il stipulé que le secours promis par la France ne serait exigible qu’en cas d’agression de la part de la Prusse ; cette réserve était manifestement illusoire. Tout le monde sait que quand deux puissances voisines vivent mal ensemble, celle qui veut transformer la malveillance en hostilité a mille moyens de susciter des occasions de conflit, de se dire, de se croire même attaquée, et de forcer son adversaire à prendre l’offensive en le poussant à bout par une série de provocations détournées, ou seulement en l’inquiétant par l’excès de ses armemens. Or, comme il était certain que l’Autriche n’avait recherché l’alliance française que pour prendre le plus tôt possible une revanche armée sur la Prusse, on devait s’attendre qu’elle n’épargnerait rien pour faire naître le cas prévu par le traité, et de l’humeur peu endurante dont était Frédéric, il était probable que lui-même se prêterait aisément à ce jeu peu déguisé. De manière ou d’autre par conséquent, de gré ou de force, on pouvait prévoir qu’avant la fin de l’été les deux puissances allemandes en seraient

  1. Le traité de Versailles contenait de plus cinq articles secrets dont le comte de Broglie ne reçut pas communication, et qui n’ont été connus qu’assez tard. Ils éclaircissaient les dispositions principales sans y apporter aucun changement important. — Voyez Schoell, Histoire des traités de paix, III, 19, ot Schœffer, Geschichte des siebenjährigen Krieges, t.1, Appendice, p. 584.