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espérances des margraves de Brandebourg qu’aux vieilles prétentions des héritiers de Charles-Quint. De plus le souverain de la Saxe, accru en importance, aurait droit à échanger son titre d’électeur contre la couronne royale. En lui promettant de le faire ainsi monter en grade, on le déciderait sans peine à renoncer à la couronne de Pologne, qui pour lui n’était guère qu’un vain titre, et le trône, devenu vacant à Varsovie, pourrait être occupé par un candidat français ou agréable au parti national. Moyennant cette combinaison ingénieuse, Prusse, Autriche et petits états, tous étaient ou contenus ou satisfaits, et (pensait aussi probablement tout bas le comte de Broglie) on contentait du même coup la dauphine et le prince de Conti. « J’avoue, disait-il en communiquant au prince ce dessein hardi, que l’agrandissement de la maison d’Autriche et de celle de Saxe paraît au premier coup d’œil peu analogue aux vues de sa majesté ; mais d’un autre côté il faut faire attention que celui du roi de Prusse y est encore plus contraire, et que sa position, eu égard à la Pologne, rendrait son opposition plus dangereuse, pour peu que sa puissance augmente encore, avec l’habitude qu’il cherche à prendre de donner la loi à tout le monde et à nous particulièrement… Je croirais donc pouvoir affirmer que de le remettre dans la classe dont nous l’avons aidé à sortir, et de l’y bien tenir après, serait une des choses que nous pourrions faire la plus favorable à la politique générale de sa majesté… C’est un objet principal de s’opposer à l’agrandissement du roi de Prusse, de qui on peut juger par l’exemple d’aujourd’hui qu’on ne disposera jamais. Il serait d’ailleurs bien avantageux de prouver qu’on ne nous manque pas impunément, et que la fidélité que nous avons envers nos alliés nous fait trouver mauvais qu’on en use différemment avec nous… Nous sommes dans une crise fort importante pour le moment présent et pour l’avenir ; je désire bien vivement que nous ne prenions que des partis glorieux pour sa majesté et avantageux pour son service[1]. »

À ces ouvertures patriotiques faites avec tant de chaleur, M. de Rouillé ne répliqua rien du tout, et le prince de Conti se bornait à faire une réponse assez sèche qui équivalait à dire au comte de se tenir tranquille. « Quant à votre plan, disait-il, de détruire la puissance de la Prusse par une négociation avec l’Autriche, il ne peut être mis en pratique[2]. » Ce serait bien le cas de dire, comme dans la comédie de Beaumarchais, qui trompe-t-on ici ? Était-ce le prince de Conti qui trompait le comte de Broglie, ou qui était

  1. Le comte de Broglie au prince de Conti, 6 février 1756. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)
  2. Conti à Broglie, 11 mars 1756. (Correspondante secrète, ministère des affaires étrangères.)