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dis-je, des réflexions particulières sur le cas présent, qui tendaient à prouver que l’opposition de son maître était plus fondée sur un mouvement de caprice que sur des raisons d’intérêt, puisque certainement il gagnerait beaucoup à notre alliance avec la Saxe, et j’ai fini par le faire convenir que j’avais raison dans tous ces points, en m’avouant que je savais qu’il avait toujours été de cet avis, mais que son maître avait apparemment des motifs, qui lui étaient inconnus, de penser différemment… Je souhaite que vous approuviez ma conduite dans cette occasion, où j’ai cru devoir me conformer au ton ferme et convenable que vous avez toujours pris avec les ministres de ce prince, puissant allié sans doute, mais qui ne sera jamais utile que quand on lui fera sentir aussi l’utilité dont nous lui sommes, et qui ne saurait se séparer de nous sans des risques évidens pour sa puissance, qu’il ne peut encore regarder comme indépendante et existante par elle-même[1]. »

Il y avait bien dans ce fier langage quelque chose de ce ton impérieux, de cette prétention d’exiger des comptes de clerc à maître que Frédéric se plaignait de rencontrer trop souvent chez les agens français, et si la conversation lui fut rapportée textuellement dans le moment où il hésitait encore à opérer son changement de front, elle ne dut pas contribuer à l’en détourner. Au demeurant, il avait d’autres moyens de savoir à quoi s’en tenir, s’il le désirait, sur le compte des sentimens que nourrissait envers lui l’ambassadeur de France à Dresde. Peu de jours en effet après cet entretien, le comte de Broglie, faisant la revue de ses papiers pour les mettre en ordre, comme c’est l’ordinaire après un voyage, s’aperçut avec surprise que les minutes de dix dépêches officielles et (chose plus grave encore) le chiffre de la correspondance secrète avaient disparu de ses cartons. Il apprit alors avec un redoublement d’effroi que, durant son absence, le secrétaire resté seul chargé des affaires, M. de Linan, était tombé gravement malade d’un accès de fièvre chaude qui semblait menacer ses jours. M. de Maltzahn, en sa qualité d’ami, s’était empressé de faire prévenir le ministre de France à Berlin, et en attendant il était venu s’installer à l’ambassade pour veiller à la sûreté des archives. Il est vrai qu’il avait eu soin de faire mettre les scellés sur tous les tiroirs en présence du secrétaire de la légation de Suède ; mais cette précaution n’avait été prise qu’une heure après son entrée à l’ambassade, et pendant cette heure d’horloge tous les papiers étaient restés à sa discrétion.

« On ne peut douter, écrivait tout effaré le comte de Broglie au prince de Conti en l’avisant de cette découverte fâcheuse, que ce

  1. Le comte de Broglie à M. de Rouillé, 25 novembre 1755. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)