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Un certain éloignement pour la Prusse et une certaine sympathie pour l’Autriche étaient donc des sentimens très naturels, bien que nouveaux, dans les conseils du cabinet français. Et quant à l’Autriche elle-même, en faisant taire toutes ses anciennes répugnances pour ne songer qu’à l’ennemi domestique qui s’attachait désormais à ses flancs, elle obéissait au plus impérieux instinct de défense. C’est ainsi que, sans qu’il y ait grand reproche à faire à personne, chacun suivit en cette occurrence la pente de sa situation dans la mesure de son caractère, Marie-Thérèse avec l’ardeur et la perspicacité de la jalousie féminine, Louis XV avec la timidité irrésolue d’un vieil enfant, Frédéric avec la hautaine et impétueuse détermination du génie.

Pour reprendre, après ces considérations générales, le fil de l’histoire particulière qui nous occupe, il est probable que si le comte de Broglie, au lieu d’être relégué au fond d’un pays perdu comme la Pologne, avait été envoyé d’abord sur quelque grand théâtre comme Vienne, Londres ou Berlin, il eût compris de bonne heure et vu venir de loin cette révolution inévitable qui déplaçait insensiblement le centre de gravité de tout le système européen. Même dans le cercle étroit où il était placé, quelques symptômes en avaient été visibles d’assez bonne heure. Avant d’éclater, le refroidissement de sa cour et de celle de Berlin s’était trahi à Dresde même par quelques indices assez clairs, auxquels son esprit ardent avait eu le tort de ne pas prêter une attention suffisante. Ainsi, à son arrivée à Dresde, trouvant les deux légations de Prusse et de France placées depuis longtemps sur un pied d’amitié officielle, il avait noué tout de suite avec son collègue le comte de Maltzahn les meilleures relations. Les deux envoyés vivaient ensemble comme de vrais camarades ; mais toutes les fois que le comte de Broglie avait tenté de transformer cette bienveillance personnelle en intimité politique, et surtout d’établir un concert d’action dans les affaires de Pologne, il avait rencontré tour à tour à Berlin et à Paris une répugnance marquée qui, sans rompre les nœuds existans, avait toujours empêché de les resserrer.

C’était la France d’abord qui avait marqué la plus mauvaise volonté. Dès le mois de juin 1753, la Prusse avait fait offrir d’entrer pour un tiers environ dans les dépenses que pouvait causer l’entretien du parti national en Pologne. Cette offre fut déclinée poliment, au grand déplaisir du comte de Broglie, non-seulement par le ministre (ce qui allait sans dire dans la disposition de réserve où le cabinet français était alors), mais même par le prince de Conti, qui répondit au nom du roi qu’il valait mieux travailler chacun de son côté. « Autant vaudrait dire que la France veut y travailler seule, » avait répliqué le comte de Broglie avec un peu d’humeur ;