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dans l’intérêt du principal personnage de cette histoire pas plus que dans celui de sa famille, aucun avantage à défendre Mme de Pompadour ; mais la vérité a ses droits, et elle m’oblige à reconnaître que le récit de Duclos renferme trop d’anachronismes, trop d’incohérences pour qu’on puisse l’admettre, sur la foi surtout d’un tel garant, sans des réserves qui en annulent tout à fait la valeur. En premier lieu, il est un point par lequel son exposé débute et qui ne souffre pas même la discussion, c’est l’offre de concours que Frédéric est supposé avoir faite à la France et que la France est censée avoir refusée. Là-dessus le témoignage de Frédéric est positif et ne souffre pas de réplique. S’il eût fait à la France une avance de cette nature, s’il eût eu le désagrément de la voir sèchement repoussée, il n’eût pas manqué de faire sonner très haut ce grief dans ses mémoires, où il n’est occupé qu’à rejeter sur la France la responsabilité de la rupture. Cependant il ne dit rien de pareil, et il affirme énergiquement que son principal motif pour s’écarter de l’alliance française fut qu’à propos d’une querelle coloniale et purement maritime nous voulions engager à notre suite le continent, l’Europe et lui-même dans une guerre générale où il ne lui plaisait pas de figurer[1].

On peut donc bien accorder à Duclos que l’Autriche, par les raisons qu’il suppose, fut empressée d’offrir son alliance à la France dès le milieu de 1755, sauf à se méfier un peu de la couleur romanesque qu’il donne aux incidens du récit ; mais il est certain en même temps que, si ces propositions furent faites, l’Autriche eut l’initiative de la bonne grâce, et ne fut devancée à Versailles par aucune invitation pareille venue de Berlin. De plus les dates ici ont une extrême importance, et Duclos indique le 21 septembre 1755 comme le premier jour où fut débattue à Babiole la proposition autrichienne. Or il résulte de documens tirés tout dernièrement des archives de Berlin que dès le mois d’août de la même année l’alliance anglaise était offerte à la Prusse et prise en considération par elle[2], de telle sorte que pendant l’automne de cette année critique, entre Louis XV et Frédéric, l’infidélité fut au moins réciproque ; les deux alliés cherchaient sourdement à se faire pièce l’un à l’autre, et, tout compte fait, le roi de Prusse mit tous les torts de son côté en éclatant le premier.

En second lieu, il résulte du récit de Duclos lui-même qu’aucune parité n’existe entre le mauvais procédé dont Frédéric crut avoir à se plaindre de la part de la France et celui dont il se rendit coupable envers elle. Duclos convient en effet que le traité d’alliance

  1. Frédéric le Grand, Histoire de la guerre de sept ans, ch. III.
  2. Schœffer, Geschichte des siebenjährigen Krieges. Berlin 1768. Appendice. Pièces tirées des archives de Berlin, p. 606 et suiv.