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alliance fut débattue (toujours suivant notre historien), à l’insu de toute la cour et de la plupart des ministres, entre l’envoyé d’Autriche, le comte de Stahremberg, et un petit prélat de cour, l’abbé de Bernis, auteur de poésies galantes et médiocres, dont le roi de Prusse avait eu le malheur de se moquer, et qui pour cette cause partageait tous les ressentimens de la favorite. Le lieu de rencontre fut une petite maison de campagne située au-dessous de Bellevue, qui portait le nom de Babiole, et aucun historien, je crois, ne s’est refusé le plaisir de faire ressortir, en passant, combien ce nom ridicule contrastait avec la gravité des intérêts débattus, mais répondait bien aux sentimens frivoles des négociateurs. La discussion, plusieurs fois rompue et plusieurs fois reprise, allait enfin aboutir à une alliance purement défensive par laquelle les deux états se garantissaient réciproquement leurs possessions. Seulement, par un reste de scrupules pour d’anciennes obligations, le roi de France exigeait que la Prusse fût comprise dans la garantie, à moins qu’elle n’engageât la première les hostilités. Les choses en étaient là quand Frédéric eut vent de l’affaire. Justement indigné du manque de foi qui répondait si mal à sa royauté, et craignant avec raison de se trouver isolé en Europe contre la coalition d’ennemis redoutables, il prit son parti avec résolution. Il se retourna du côté de l’Angleterre, et s’engagea envers cette puissance, par un traité signé à Westminster, à ne prendre aucune part à la guerre future. Cette convention de neutralité n’avait rien d’agressif contre personne, pas plus contre la France que contre aucun autre pays. En tout cas, ce n’était qu’une représaille anticipée et une mesure de défense légitime[1].

Tel est le récit stéréotypé que tous les historiens français se sont passé de main en main l’un à l’autre, et comme les panégyristes les plus ardens du grand Frédéric n’en auraient pu inventer un plus favorable à la mémoire du héros, il n’est pas étonnant que les historiens allemands l’aient adopté aussi à l’unanimité. Mme de Pompadour reste donc chargée, seule devant la postérité d’une décision qui fut suivie d’une guerre sanglante, terminée pour la France par une paix désastreuse. À Dieu ne plaise que je plaide devant le mépris public la cause de Mme de Pompadour, ou même que j’invoque pour elle le bénéfice des circonstances atténuantes ! Si elle n’eut pas ce jour-là le tort qu’on lui prête, elle en eut tant d’autres, et sa seule existence, le seul fait que ce nom indigne et ridicule doive être mentionné dans les annales de la monarchie française est en soi-même un tel scandale qu’aucune sévérité à son égard ne paraîtra jamais excessive. Je ne trouve d’ailleurs, on le verra bien,

  1. Duclos, Mémoires secrets du règne de Louis XV ; — Histoire des causes de la guerre de 1756.