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nipotence romaine. C’est fort bien ; les illuminations du Vatican et de la place Saint-Pierre célébreront le triomphe, Rome aura sa fête pour le plébiscite du Saint-Esprit. Il reste à savoir quelles seront le lendemain les conséquences de cette résurrection de l’idée théocratique en plein XIXe siècle. Le moins qui puisse arriver, selon le mot du prince Schwartzenberg, c’est que ce soit là un dogme a dont le monde n’accepte jamais la loi. »

L’infaillibilité en effet ne sera rien, ou elle peut avoir des résultats qu’il n’est pas facile d’entrevoir encore. Elle changera certainement les rapports de la papauté et des gouvernemens, de l’église et de la société civile ; elle introduit dans ces rapports un élément nouveau qui échappe à toute appréciation. D’un autre côté, dans l’église elle-même, quelle sera la situation des évêques qui auront résisté jusqu’au bout, qui ont combattu de toutes leurs forces, de toute l’autorité de la raison et de la prévoyance le dogme nouveau, qui ont déclaré qu’ils ne pouvaient reconnaître pour vrai ce qui leur paraissait un non-sens ? On prête déjà à M. Dupanloup l’intention de quitter l’évêché d’Orléans, et il n’est point impossible qu’il ne soit imité par d’autres. Ces évêques se retireront, soit ; et puis, si le gouvernement nomme à leur place des ecclésiastiques qui n’admettent pas davantage l’infaillibilité, qu’arrivera-t-il ? Voilà la guerre allumée. Rien ne peint mieux la confusion qui se met aujourd’hui dans l’église qu’un bref adressé ces jours derniers par le pape à l’écrivain catholique le plus violent, au polémiste qui peut se vanter d’avoir conduit, la cravache ou la plume à la main, la campagne de l’infaillibilité, à M. Louis Veuillot en personne ! Pie IX fait tous les complimens possibles à M. Louis Veuillot, il se réjouit fort de l’influence qu’a elle ce nouveau père de l’église, et il remercie en même temps le clergé secondaire de France qui a souscrit pour le concile, qui s’est laissé conduire à la bataille de l’infaillibilité par le journal l’Univers ; des évêques, pas un mot, ou plutôt Pie IX met sa bénédiction là où M. Dupanloup et d’autres ont mis leurs condamnations. Ainsi voilà un pape qui passe sans façon par-dessus la tête des évêques pour aller tout droit traiter des affaires religieuses avec un écrivain et avec le clergé secondaire ; il n’y a que ces ingénuités infaillibles pour faire de ces choses-là ! Le concile finira comme il a commencé ; il laissera en pleine effervescence les passions religieuses qu’il a excitées. C’est l’histoire qui vient d’être racontée par un écrivain anonyme dans un petit livre intitulé Ce qui se passe au concile. L’auteur sait bien ce qui se passe au concile, il le sait trop ; il dévoile dans son plan, dans ses détails cette campagne de l’infaillibilité qui a été habilement conduite, on n’en peut disconvenir, et la preuve que ce petit livre indiscret et modéré a touché juste, c’est qu’il a été reçu à Rome comme une œuvre diabolique ; il était dans tous les cas une dernière protestation, une note discordante