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teurs au rabais, » comme on l’a dit, à côté des vieux sénateurs mieux rentes. Notez que cet imbroglio n’est pas fini, qu’on n’a point trouvé encore le fil pour en sortir. Ce qu’il y a de plus clair pour le moment, c’est que par dignité les anciens sénateurs ne peuvent plus conserver leur dotation d’autrefois, et que personne ne peut plus entrer au Luxembourg avant qu’on en ait fini de tous ces détails blessans. Que des écrivains se permettent quelquefois de traiter légèrement les vénérables du sénat, ils sont dans leur rôle ; le gouvernement, en vérité, n’est point dans le sien. S’il croit le sénat inutile tel qu’il est, qu’il en propose résolument la suppression ou la reconstitution ; s’il le croit nécessaire, d’est bien le moins qu’il ne le livre pas au ridicule, qu’il trouve le moyen de trancher au plus vite ces maussades questions d’argent, toujours faites pour compromettre plus ou moins la dignité d’un corps politique sérieux. Il n’est point impossible du reste que le sénat, pris de mauvaise humeur, ne recherche un de ces jours quelque vive explication avec le gouvernement. Il aurait une spirituelle vengeance toute trouvée, ce serait de répondre au projet dont le corps législatif est saisi en proposant lui-même la suppression complète et immédiate de la dotation sénatoriale.

Voilà cependant quelles difficultés on se crée quand on ne réfléchit pas, quand on va un peu à l’aventure. Ce n’est rien de grave, dira-t-on. Non certes, nous ne nous figurons pas qu’il en puisse sortir des conflits bien redoutables ; c’est tout simplement le signe de cette légèreté et de ce décousu qu’on met dans les affaires. Depuis le plébiscite surtout, M. le garde des sceaux semble en prendre un peu à son aise avec toute chose. Il parle et agit en victorieux qui se persuade facilement que tout est bien dans le plus heureux des mondes ; il a volontiers de ces abandons, de ces complaisances pour lui-même, de ces étourderies impérieuses et familières, qu’il rachète de temps à autre par le talent, nous en convenons, mais qui peuvent épuiser rapidement ce qui lui reste de popularité. M. Émile Ollivier aurait besoin d’avoir moins de confiance en lui-même pour en inspirer aux autres ; il aurait particulièrement besoin de ressentir encore ces inquiétudes salutaires de la soirée du 8 mai, qu’il répudie aujourd’hui et dont le souvenir l’empêcherait de tomber du côté où il penche. S’il croit que cette victoire du 8 mai l’a haussé définitivement au rôle de premier ministre, et qu’il a reçu un bill de confiance dont il peut user à sa fantaisie, c’est la plus naïve illusion de la vanité. Si, dans la position éminente que les événemens lui ont faite, il pense ne devoir sa force qu’à lui-même, il se trompe étrangement. Sa principale force aujourd’hui, il la doit à la faiblesse de ses adversaires, à cette dépression momentanée des partis qui a été la suite de la crise plébiscitaire, à cette neutralisation des opinions qui lui permet de s’exercer à ce jeu d’équilibre qu’on lui voit jouer avec un certain succès de-