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était-on à peu près obligé cette fois de laisser les artistes ou ceux qui, prennent ce titre tenter une épreuve réclamée par les plus bruyans d’entre eux ; peut-être les conditions particulières où se trouvait la nouvelle administration des beaux-arts lui imposaient-elles, comme une mesure de prudence, l’essai d’un parti plus radical encore que le procédé, passablement démocratique pourtant, adopté depuis quelques années. Eh bien ! l’expérience est faite, on voit maintenant ce qu’elle a produit. Élection d’un jury dans lequel des hommes sans précédens fort sérieux siègent en nombre à côté de quelques artistes éminens, jury qui, avec le même mode de recrutement, serait très probablement l’année prochaine composé plus étrangement encore, — pêle-mêle systématique des œuvres de toute nature et des talens à tous les degrés, pour ne reconnaître et ne proclamer d’autre autorité que celle de l’alphabet, d’autres droits que les privilèges du nom propre, — enfin répartition de récompenses devenues insignifiantes en raison de leur uniformité réglementaire et de leur nombre, simples patentes annuellement délivrées à quarante peintres et à quinze sculpteurs, sans compter les graveurs et les architectes, — voilà les résultats du régime présent. Sont-ils tels qu’il faille s’en contenter ? Veut-on, en persévérant dans de pareilles pratiques, livrer de plus en plus le champ de l’art à des occupans de rencontre, et laisser la médiocrité s’installer là où la place ne devrait appartenir qu’au talent ? Veut-on, au nom de l’impartialité, anéantir la justice, au nom de l’égalité établir la confusion ? Au point où les choses en sont arrivées, c’est à cela que se réduit la question. Si le Salon ne doit plus être que l’entrepôt des produits récens de la peinture, de la sculpture et de la gravure, qu’un lieu d’asile banal pour toutes les œuvres en quête d’un regard ou d’un acheteur, — rien de mieux que d’abandonner à peu près à qui veut le prendre le soin d’y caser chacune d’elles, et de trouver, bon an mal an, parmi les exposans une soixantaine de nouveau-venus à médailler ; mais si, comme nous le croyons, le Salon a pour objet de représenter les progrès principaux de l’art contemporain, d’en résumer les efforts et la vie dans quelques travaux d’élite, il est nécessaire, il est indispensable de rompre franchement avec les doctrines négatives pour restaurer dans le monde des artistes le respect des justes principes, la notion de devoirs et de droits tout contraires aux rêves d’une égalité chimérique. L’exposition de 1870 et les faits qui l’ont précédée ou qui s’y rattachent démontrent assez l’urgence d’une semblable réforme. Il faut espérer que l’enseignement ne sera perdu pour personne, et qu’ainsi averties par l’expérience, l’opinion publique et l’administration des beaux-arts jugeront à propos d’aviser.


HENRI DELABORDE.