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à part la grandeur historique de celui qui sera un jour Napoléon, quoi de plus ingrat en apparence, quoi de moins favorable à la statuaire qu’un personnage chaussé de bottes à revers, portant un habit d’uniforme à retroussis, sans compter un énorme chapeau à trois cornes qui, même tenu par l’une des mains, ne laisse pas de compliquer les lignes et d’en appesantir l’aspect ? En outre, malgré la beauté naturelle des traits du visage, la disproportion tout exceptionnelle entre le volume de la tête et la petitesse du corps, entre les longueurs du torse et des jambes, créait ici pour l’artiste des difficultés considérables. Elle l’exposait au danger de compromettre par la fidélité même du portrait l’expression d’élégance ou tout au moins la physionomie juvénile qu’il importait de lui donner. Peut-être quelques-unes de ces difficultés n’ont-elles pas été encore complètement résolues par M. Guillaume ; peut-être, avant de couler en bronze la statue dont il nous montre aujourd’hui le modèle, reconnaîtra-t-il lui-même l’avantage qu’il y aurait à rajeunir certaines parties un peu lourdes ou un peu viriles pour l’âge du personnage, — le haut du buste par exemple et les cuisses, dont le modelé ne laisse pas de paraître trop plein, surtout lorsqu’on regarde la figure en face. En tout cas, ce qu’on peut apprécier et louer sans hésitation dès à présent, c’est la fière simplicité de l’attitude, le caractère à la fois héroïque et vraisemblable des traits du visage, en un mot ce mélange de noblesse et de familiarité que comportait un pareil sujet, et qui devait en préciser le sens historique sans rien amoindrir au point de vue de l’art.

C’est aussi à l’ordre des sujets historiques, et des sujets relativement modernes, qu’appartient la figure modelée par M. Chapu. En représentant Jeanne d’Arc à Domremy, le sculpteur semble s’être souvenu du tableau peint, il y a dix ans, par Bénouville, et peut-être cette récente image de la sainte pastoure n’est-elle pas en réalité tout à fait nouvelle. En tout cas, elle répond bien à l’idée qu’on se fait de Jeanne d’Arc ou tout au moins à l’une des idées qu’on peut s’en faire, car, nous avons eu l’occasion de le rappeler déjà, il y a pour les artistes deux manières de concevoir cette noble figure. Ils peuvent ou mettre en relief l’élément héroïque en donnant aux traits, à l’attitude, à toute la personne de Jeanne une physionomie robuste qui exprimera la virilité de l’âme, — ou bien ne nous laisser voir que la colombe séraphique, la martyre d’autant plus digne de vénération qu’elle sera physiquement plus délicate, et que le rôle accepté par elle sera moins conforme à sa faiblesse. De ces deux modes d’interprétation, M. Chapu a choisi le premier. Jeanne d’Arc telle qu’il nous la montre est une franche inspirée, qui relève la tête et regarde le ciel comme pour protester hautement de son