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Sigismond-Auguste et par les nonces des deux nations, — tel est le thème, considérable au point de vue de l’histoire, mais en apparence assez dépourvu d’intérêt pittoresque, que M. Matejko a entrepris de développer. Et pourtant la vaste toile qui reproduit cette scène toute politique n’a ni la majesté gourmée ni la froideur d’une page officielle. La vie circule dans tous ces groupes de personnages réunis pour accomplir le même devoir, mais s’en acquittant chacun suivant les différences que comporte l’inégalité des âges, des caractères ou des fonctions. Ici un vieux cardinal bénit de ses mains débiles ceux qui prêtent serment, tandis qu’un seigneur, debout derrière le fauteuil du prélat, les observe d’un œil scrutateur ; là les fronts s’inclinent et les mains se joignent pour la prière à côté de quelques bras qui se lèvent, de quelques regards passionnés qui cherchent le ciel pour le prendre à témoin de la foi jurée et du châtiment promis à quiconque oserait la trahir. Partout une dignité sans emphase, une animation sans violence, une variété sans confusion ; partout aussi une remarquable justesse dans le choix des types et la définition des physionomies. Avec un instinct plus franc des vérités caractéristiques et une plus profonde sincérité dans la manière, le talent de M. Matejko rappelle celui de M. Gallait. Comme l’Abdication de Charles-Quint du peintre belge, l’Union de Lublin réussit à transformer un sujet d’apparat en une scène dramatique. En outre, bien que trop martelée souvent, bien que taillée en quelque sorte à facettes, l’exécution de cet ouvrage a dans le coloris une solidité et dans le dessin une rigueur que le Charles-Quint du palais de justice à Bruxelles n’offre pas, si nous avons bonne mémoire, au même degré.

Mieux servi par l’ordre alphabétique que n’ont pu l’être MM. Lehmann et Hébert, M. Cabanel a obtenu pour ses tableaux une place dans ce salon d’entrée où il était d’usage autrefois de réunir les principales toiles de l’exposition. Le hasard en ceci s’est trouvé d’accord avec la justice, car, sans compter les titres antérieurs de l’artiste, l’un de ces deux ouvrages est un morceau de beaucoup de valeur, l’autre un morceau achevé. Parlons d’abord du tableau le plus important, à ne considérer que les dimensions de l’œuvre et la nature du sujet traité.

En traduisant à son tour avec le pinceau les vers immortels que î)ante a consacrés à Françoise de Rimini et à Paul Malatesta, M. Cabanel n’a eu garde de renouveler simplement les tentatives faites de notre temps par d’autres artistes. Ingres avait représenté les deux amans à l’instant où, les yeux détachés du livre fatal, les lèvres déjà muettes et bientôt criminelles, ils oublient dans l’ivresse de leur passion la jalousie qui les épie et la mort qui va les frapper. Scheffer nous les avait montrés expiant leur rapide égarement dans les tortures et