Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tentatives d’innovation même aux principes consacrés. Voilà pourquoi l’essai fait cette année ne nous semble rien de plus qu’un expédient. Il aura pu emprunter sa raison d’être aux incertitudes ou aux difficultés du moment ; mais, s’il se convertissait en usage, il entraînerait au moins le danger de fausser les situations et les rôles, et deviendrait en réalité aussi préjudiciable aux intérêts de ceux qui se seraient entêtés à le solliciter qu’à la juste influence, à la dignité de ceux qui auraient consenti de nouveau à le prescrire.


I

Le système, plus égalitaire que de raison, qui a prévalu pour la constitution du jury, devait, comme conséquence naturelle, amener dans le placement des œuvres la suppression de tous les privilèges et la confusion de tous les rangs. Plus de distinction entre le bon, le médiocre ou le mauvais, entre les maîtres ayant dès longtemps fait leurs preuves et les apprentis à peine émancipés ; plus de salon d’honneur réservé aux travaux particulièrement remarquables, phis d’autre classification que celle de l’ordre alphabétique. A la vérité, tout n’est pas neuf dans ce mode de répartition. Depuis plusieurs années déjà, la coutume s’était établie de subordonner en général la valeur relative des tableaux à l’autorité des lettres dont se compose chaque signature. Toutefois, en se continuant, le mai s’est aggravé ; les exceptions admises jusqu’ici ont été réprouvées comme une offense à l’égalité des droits, à la souveraineté du peuple artiste, et ceux-là même dont les ouvrages auraient figuré naguère à juste titre parmi les morceaux d’élite ont dû subir aujourd’hui l’hospitalité banale à laquelle les condamnait le radicalisme de la nouvelle jurisprudence. Prenons-en donc notre parti : le Salon de 1870, tel qu’il a été organisé, a, plus qu’aucun des salons précédens, le caractère d’un entrepôt où les produits de toute nature et de toutes mains se succèdent dans l’ordre que leur assignaient d’avance les étiquettes. Reste à savoir ce qui distingue au fond les uns des autres ces objets ainsi emmagasinés, et quelle part il convient de faire au talent ou à l’originalité personnelle dans ces innombrables témoignages de l’activité pittoresque et des pratiques industrielles de notre temps.

L’originalité, — j’entends l’expression imprévue et sincère d’une émotion ou d’un sentiment inspiré par la nature, — voilà ce qui fait défaut en général aux œuvres de l’art contemporain et tout spécialement à celles qu’abrite cette année le palais des Champs-Elysées. Et cependant à aucune époque on ne s’est plus bruyamment insurgé contre les traditions et les règles, jamais on n’a proclamé aussi haut les droits supérieurs du sentiment et la toute-puissance