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bonne raison que le progrès de la population, cause de la dépense, est ainsi la cause de la recette des villes, fondée sur trois élémens, les consommations, les services rendus et la valeur des terrains, qui augmentent précisément avec le chiffre des habitans. Comment se fait-il donc que l’opinion française condamne violemment l’administration de Paris, tandis que l’opinion de l’Europe l’admire ? C’est que l’Europe juge ses œuvres et que la France juge ses procédés.

Ce ne sont pas seulement les finances d’une capitale qui sont mises en péril par l’excès des grands travaux, ce sont aussi les finances du pays, dont les ressources et les bras sont trop engagés sur un seul point ; ce sont surtout les finances des particuliers, obligés de payer plus chèrement leurs demeures et leurs vivres, et les finances des ouvriers, attirés dans les villes par la fièvre des travaux et réduits ensuite au désœuvrement. Qui donc peut ralentir la marche des travaux qui vont trop vite et marquer la limite des dépenses qui vont trop loin ?

En tout pays, les contrôleurs et les tuteurs de l’administration municipale sont les habitans eux-mêmes, parce qu’ils sont à la fois intéressés aux améliorations et responsables des dépenses, puis les députés de la nation, parce qu’ils ont à pourvoir aux besoins de toutes les provinces et à maintenir entre elles un juste équilibre. Or on sait trop que ces contrôleurs et ces tuteurs ont manqué depuis longtemps à l’administration de Paris. Aux termes des lois, ou, pour parler plus exactement, dans le silence de toutes les lois, la ville de Paris depuis 1848 n’est plus une municipalité ; c’est un territoire administré par un préfet à l’aide d’un budget alimenté par un octroi[1]. Le préfet peut tout, l’octroi paie tout ; 2 millions d’hommes ont été gouvernés, 2 milliards ont été dépensés en vingt ans sous ce régime, tour à tour exalté ou dénigré avec excès, dont l’organisation dictatoriale explique à la fois la puissance, les services éclatans, les grandes œuvres, et aussi les grandes fautes et l’impopularité.

Il est vraiment bien temps que les capitales de l’Europe fassent entre elles un échange. Elles ont à imiter peu à peu nos belles rues, et nous avons à emprunter sans retard leurs bonnes lois. Comment faire, puisque ces lois sont si diverses ? Faut-il transporter à Paris le metropolitan board de Londres, le conseil administratif de Genève, le magistrat de Berlin ou le common council de New-York ?

  1. Sur 150 millions de recettes ordinaires, l’octroi entre pour 103 millions. Le reste se compose de 10 millions de subventions de l’état pour la police et le pavage, de 33 millions environ de redevances pour les eaux, les marchés, etc., et de 4 millions seulement d’impôts directs.