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LE DRAME DU VÉSUVE.

duit le tableau de la bataille avec les habitans de Nucéria[1], ils déblaieront, du côté de la voie des tombeaux, le quartier important où la colonie romaine s’était établie (pagus Augustofelix). Cela suffira pour entretenir un peu d’activité, satisfaire les esprits avides de nouveauté et attirer les visiteurs. Une considération d’un ordre plus élevé doit même décider ceux qui hésiteraient. Personne n’ignore combien les maisons de Pompéi, qui sont depuis longtemps exposées au soleil, à la pluie, au vent de la mer, se sont altérées. Les marbres se rongent, les ornemens de stuc se détachent, les enduits craquent, les couleurs pâlissent, les peintures s’effacent, quoique frottées chaque année avec un lait de cire qui les protège et les jaunit ; les mosaïques, soulevées par la gelée des nuits d’hiver, se brisent sous le pied, et le mortier cesse de retenir leurs petits cubes. Les quartiers qui ont été dégagés, il y a soixante ans, sous le règne de Murat, sont déjà très dissemblables des quartiers fraîchement déblayés, et l’on peut prédire que dans un siècle, malgré tous les soins des conservateurs, il ne restera plus que des murs, des colonnes, des dallages, en un mot l’architecture sèche, sans ses vêtemens et sa parure. Si tout Pompéi revoyait la lumière d’ici à dix ans, les voyageurs qui visiteront la ville après l’an 2000 admettraient à peine nos descriptions et consulteraient avec défiance nos dessins et nos planches coloriées. Laissons donc aux âges futurs leur tâche et leur part de plaisir. Que chaque génération puisse mettre la main dans ce sol plein d’enseignemens, qu’elle s’instruise, qu’elle surprenne dans leur vivacité les détails qui accompagnent la découverte et disparaissent aussitôt ; qu’elle contemple dans leur fraîcheur les stucs, les mosaïques et les peintures que la terre humide conserve seule et conserve si bien ! Pompéi est un trésor enfoui ; on y puise à coup sûr, mais en le diminuant : laissons-en quelque chose à nos héritiers.

Quant aux obstacles que rencontre l’exploration d’Herculanum, ils se réduisent à deux : les constructions modernes qu’il faut exproprier, la quantité de cendres qu’il faut emporter. L’expropriation est coûteuse ; toutefois il s’agit non pas de démolir Portici et Résina, mais seulement d’étendre les fouilles actuelles dans un quartier où les maisons sont chétives, les jardins mal tenus, et où 15 000 francs paieront trois fois plus qu’il ne vaut un terrain déjà considérable. Il suffira d’acheter un peu chaque année : la continuité même des travaux, qu’on ne devra pousser qu’avec méthode et avec lenteur, permettra d’attendre les occasions, de profiter des décès et des ventes forcées. Les cendres, il est vrai, iront en croissant, et plus on

  1. Voyez la Revue du 1er  mai, p. 9.