Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/633

Cette page a été validée par deux contributeurs.
627
LE DRAME DU VÉSUVE.

le foyer d’éruption. De telles vapeurs, dont le volume et la force de dilatation dépassent tout calcul, sont refroidies aussitôt qu’elles sont en contact avec l’atmosphère ; elles se condensent et retombent en pluies. Si M. Fouqué, en 1865, dans une éruption de l’Etna qui n’avait rien d’extraordinaire, a pu constater qu’il était tombé sur la montagne 22 000 mètres cubes d’eau en vingt-quatre heures, on peut quintupler et même décupler ce chiffre pour l’explosion du Vésuve, dont la violence en 79 n’a jamais été égalée. Sans recourir à l’hypothèse de boues projetées par le cratère, ni s’appuyer sur l’exemple des volcans de Java, qui lancent dans les airs des gerbes de fange au lieu de gerbes de feu, on peut assurer que de telles quantités d’eau, se confondant avec les cendres et les matières réduites en poudre que rejetaient d’autres cheminées du cratère, ont produit subitement un amalgame liquide soit dans l’air, soit en retombant sur le sol. Les Napolitains connaissent ce genre de phénomène, qui s’est reproduit plus d’une fois, dans des conditions modérées, il est vrai ; ils appellent cela des laves baveuses (lave bavose), et s’ils ajoutaient toujours l’épithète, ils auraient raison d’employer le substantif, et de dire qu’Herculanum a été ensevelie sous la lave. Herculanum en effet a été submergée par des laves baveuses[1], ou, pour employer une expression plus simple, par des torrens de boue.

En outre les pluies subites, je dirais volontiers les nappes d’eau qui tombaient du ciel à chaque émission de vapeur, ont entraîné toutes les cendres qui étaient déposées sur les pentes de la montagne, et les ont précipitées sur la plaine ; l’avalanche s’est jetée sur Herculanum. En même temps les deux rivières qui coulaient à droite et à gauche de la ville[2] cessèrent de couler jusqu’à la mer. Nous avons expliqué déjà[3] comment le rivage se souleva, pourquoi les vaisseaux de Pline furent arrêtés par des bas-fonds imprévus qui rendaient le port de Rétina inabordable. L’effet de ce soulèvement fut d’exhausser l’embouchure des deux rivières et de rejeter les eaux sur la ville. L’inondation apporta son contingent de vase, de cendres, de terre végétale. Il ne faut pas omettre les canaux comblés, les égouts obstrués, les aqueducs rompus par le tremblement de terre et versant leurs eaux dans la vallée. À mesure que la fange se déposait dans les rues, dans les cours, dans les

  1. On a vu qu’à Pompéi également les eaux de l’aqueduc rompu dans la ville et les pluies torrentielles ont contribué à remplir de leurs alluvions les parties basses et les souterrains, et que plus d’un Pompéien a été noyé dans l’asile qu’il croyait impénétrable aux projectiles et aux cendres.
  2. Nonius Marcellus, ch. III.
  3. Voyez la Revue du 15 mai, p. 320.