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LE DRAME DU VÉSUVE.

a enveloppés, sont-ils demeurés intacts, avec leur ton primitif, sans éclats ni fissures ? Nous avons vu les métaux entrer en fusion au premier contact et disparaître dans cette pâte, rouge et visqueuse comme de la fonte de fer ou le verre sortant de la fournaise. Comment les objets d’argent, les statues de bronze, les vases de plomb, se retrouvent-ils à Herculanum avec leur forme, leurs reliefs, leurs ornemens, leur patine naturelle ? Les bronzes d’Herculanum sont encore mieux conservés que ceux de Pompéi : on les distingue par leur fraîcheur d’épiderme, leur poli, leur ton égal et foncé, tandis que les bronzes de Pompéi ont été attaqués par les exhalaisons sulfureuses, rongés à la surface, et ont contracté une belle couleur bleue d’outremer qui ressemble à celle du sulfate de cuivre.

D’autres faits du même genre ne sont pas moins inexplicables. Les guides montrent aux étrangers une expérience qui dégénère bientôt en jeu : ils séparent avec un bâton ferré un petit morceau de lave ardente, le laissent refroidir sur la terre et y appliquent un gros sou (jadis c’était un de ces larges carlins de cuivre qui valaient 5 sous), afin d’en obtenir une empreinte. Si l’opération est faite trop tôt, le cuivre entre en fusion, et la pièce de monnaie, au lieu de laisser son empreinte, disparaît, amalgamée avec le reste de la lave. Comment donc se peut-il qu’on recueille à Herculanum tant de monnaies antiques, de cuivre ou d’argent, et qu’elles n’aient été ni dévorées ni même altérées par ces flots de lave où se concentre une chaleur qui défie tous les calculs ? On sait aussi que les couleurs employées par les anciens pour décorer leurs édifices sont des couleurs à base minérale : elles bravent l’humidité du sol, mais le contact du feu les dénature ; les incendies partiels dont on voit les traces à Pompéi ont transformé par places le bleu en gris, le rouge en jaune, et les fabricans napolitains n’ignorent pas ce moyen très simple de produire aujourd’hui, avec du minium soumis à l’action du feu, ce qu’ils appellent du jaune brûlé. Pourquoi donc les maisons qu’on a fouillées à Herculanum offrent-elles des couleurs si admirables ? Pourquoi le bleu d’outremer et le rouge vermillon qui couvrent des murailles entières sont-ils d’une égalité et d’une fraîcheur qu’eût nécessairement détruites l’application d’un corps incandescent ? Enfin j’ai vu sur le Vésuve des arbres à peine touchés par la coulée de lave s’enflammer comme des allumettes, lancer un jet lumineux et tomber aussi rapidement que si la foudre les avait frappés. Pourquoi les poutres, les planchers, les linteaux d’Herculanum, au lieu d’être réduits en cendres, ont-ils pourri lentement au sein de la terre[1], à leur place, sans causer de vides ni de dé-

  1. C’est ainsi que les houilles, les anthracites et les lignites sont des bois transformés en charbon sans l’aide du feu, mais au contraire à la suite des déluges et par l’effet d’un séjour prolongé au sein de la terre.