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REVUE DES HOMMES.

sant à mesure, gardant pour la postérité des trésors que la postérité devra chèrement conquérir, mais qu’elle retrouvera intacts.

Telle est en effet l’opinion répandue dans toute l’Europe et même à Naples ; la plupart des voyageurs qui ont visité Herculanum affirment qu’ils ont touché la lave de leurs mains, et plus d’un touriste, dans les volumes qu’il publie sur les villes du Vésuve, assure avec la même confiance que la difficulté de tailler la lave est le principal obstacle aux fouilles d’Herculanum. Comment donc oser dire à des gens si convaincus que c’est non pas le feu qui a englouti Herculanum, mais l’eau, que c’est non pas un torrent de lave ardente, mais une inondation de boue et de cendres délayées qui a rempli la ville ? Comment détruire un préjugé si fortement enraciné, que les ouvrages des géologues et des savans n’ont pu l’ébranler ? En vain Dufrénoy a démontré[1] que les eaux seules avaient porté sur Herculanum des monceaux de scories et de débris du tuf de la Somma ; en vain Dyer[2], Overbeck[3], Ernest Breton[4], etc., ont avancé dans diverses langues que les cendres seules, délayées par l’eau, durcies par le tassement, recouvraient Herculanum : on ne les a point écoutés, et l’on continue à maudire les laves qui rendent les fouilles si dispendieuses et si difficiles.

Tout le monde sait cependant quelle est la nature de la lave et quels en sont les effets. La lave est une masse incandescente dont la température est telle que tous les corps susceptibles d’entrer en fusion y sont absorbés et liquéfiés ; poussée hors des fissures du cratère par une force irrésistible de dilatation, cette masse s’avance comme un fleuve de feu et dévore tout sur son passage ; lente à se refroidir, elle devient aussi dure que du mâchefer et du porphyre. Or je fais appel aux souvenirs de tous ceux qui ont fait l’ascension du Vésuve pendant ces coulées de lave qui suivent une éruption et durent plusieurs semaines ou même plusieurs mois. Ce qui se passe aujourd’hui doit nous édifier sur ce qui se serait passé il y a dix-huit siècles ; il suffit d’appliquer à ses souvenirs un peu de réflexion et de bon sens.

Par exemple, nous avons vu de très faibles coulées, déjà éloignées de l’orifice d’émission et refroidies par le contact de l’air et du sol, entourer des maisons de campagne, les calciner, les faire écrouler par l’embrasement subit des planchers et des toits. Comment les statues de marbre et les stucs d’Herculanum, si la lave les

  1. Mémoire sur les Terrains volcaniques des environs de Naples.
  2. Pompéi, 2e édit., p. 18 : « It does not appear that any lava flowed from the Vesuvius ; ejected matter consisted of rocks, pumice and ashes which seem to have been partly changed into liquid mud by torrents of rain. »
  3. Pompéji, in seinen Gebaüden, Alterthümern, u s. w., t. Ier, 2e édit., p. 29.
  4. Pompeia, 3e édit., p. 505 : « Herculanum dans son linceul de cendres pétrifiées. »