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LE DRAME DU VÉSUVE.

flotte étaient casernés à Rétina, qui n’était que le port d’Herculanum. Dans tous les cas, ce pays devint un lieu de plaisance pour les Romains ; ils étaient près de Naples, ils subissaient l’attrait du génie grec et de l’idéal que le génie grec répandait sur la vie matérielle ; ils y bâtissaient des villas, les Fabius en avaient une, les Balbus une autre, et lorsque Agrippine prisonnière voulut être amenée à Caprée pour parler à Tibère, les prétoriens la laissèrent reposer dans une villa, voisine de la mer, que son fils Caligula fit saccager plus tard et dont Sénèque signale les ruines.

Ainsi l’histoire établit déjà des différences profondes entre Herculanum et Pompéi : la première est peuplée par des Grecs, la seconde par des Osques ; Herculanum est adonnée à la culture de l’esprit et aux élégans loisirs, Pompéi appartient tout entière au commerce ; l’une est habitée par les plus riches Romains et accablée de faveurs[1], l’autre est hostile aux Romains et plusieurs fois châtiée. On doit soupçonner qu’Herculanum a servi de modèle à Pompéi dans bien des détails de la civilisation, on peut affirmer que Pompéi n’a rien appris aux Grecs d’Herculanum. Enfin le tremblement de terre qui fut si fatal à Pompéi, sous Néron, n’endommagea qu’à moitié Herculanum, de sorte qu’une partie des édifices antérieurs à l’empire et des maisons d’un style plus ancien, c’est-à-dire d’un goût plus pur, doit avoir été conservée ; on en peut juger déjà par la beauté des objets recueillis à Herculanum, on en jugera mieux quand la ville elle-même reparaîtra au jour.

Quel fut le sort d’Herculanum pendant l’éruption ? quels phénomènes particuliers se manifestèrent de ce côté du Vésuve ? quelles causes firent disparaître subitement de la surface du monde habité une ville florissante ? Je crois l’avoir démontré, l’enfouissement de Pompéi fut si incomplet qu’après quelques jours les habitans purent reconnaître leurs demeures, y camper et les fouiller ; Herculanum au contraire fut si profondément enterrée que le lendemain il semblait impossible d’en retrouver même la trace. Dès que ces questions sont posées, tout le monde répond aussitôt avec assurance : la lave a fait tout le mal, Herculanum a été engloutie sous 80 pieds de lave. Si les objets d’art, les bronzes, les tableaux, ont été merveilleusement conservés, c’est qu’ils avaient pour cuirasse contre les injures du temps une couche de lave impénétrable, qu’il faut tailler au ciseau. Cette explication séduit. L’imagination se figure aussitôt des fleuves de feu envahissant la ville, montant comme la mer soulevée par le flux, pénétrant par les portes et par les fenêtres, entourant toutes choses et les modelant, se refroidis-

  1. Les inscriptions et les statues consacrées à toute la famille des Balbus en font foi.