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nos rivaux. Il y a plus encore. Comme un cadavre longtemps conservé sous la cloche d’une machine pneumatique et dont le contact de l’air précipite la dissolution, la Chine se décompose au souffle des idées européennes. Cet empire, le plus vieux qui soit sous le soleil, tombe à son tour en ruines ; son heure est proche, et l’on peut croire qu’elle aurait sonné déjà sans la jalousie qui divise ses héritiers. Les progrès de la Russie vers le nord, la forte situation prise par l’Angleterre du côté de l’occident, les arrière-pensées entretenues par d’autres puissances, et dont les marques de sympathie données au chef des Taï-pings furent un curieux symptôme, la force des choses en un mot et la faiblesse même des Chinois permettent d’entrevoir le démembrement de l’antique édifice dont Fohi jeta les bases il y a quelques milliers d’années. En présence d’une pareille éventualité, la France doit être prête ; son rôle est tracé par la position même qu’elle occupe dans la péninsule annamite. Il est absolument nécessaire qu’elle exerce une influence prépondérante au Tonkin, qui est pour elle la clé de la Chine, et que, sans devancer d’ailleurs par aucune impatience le cours des événemens, elle montre son pavillon à des peuples dont la tutelle peut lui échoir un jour.

Il faut peut-être quelque courage pour venir, à l’heure présente, émettre une pareille conclusion et parler à la France de ses intérêts en Orient. Puisque le vent est aux discussions byzantines et la faveur aux chercheurs de pierre philosophale, puisque les médecins, à bout d’ordonnances, prennent le parti de consulter le malade, le premier venu peut indiquer un remède. Ce remède au mal qui nous travaille, il n’est assurément pas nouveau ; mais il a le mérite d’être consacré par l’expérience d’autrui, et de se résumer en deux mots très clairs : émigration et colonisation. — Toujours posé depuis un demi-siècle dans des termes au fond identiques, le problème du prolétariat et de la misère continuera d’être pour nous une cause permanente d’agitations stériles tant que les théoriciens du socialisme, concentrant leurs regards sur l’étroit territoire de la patrie, se borneront à exciter contre ceux qui possèdent ceux qui ne possèdent pas. Une partie considérable du globe est encore à connaître, et dans les régions déjà explorées et décrites tous les prolétaires de la France pourraient, s’ils en avaient l’intelligence et le courage, s’emparer de vastes domaines par droit de premier occupant. Cela demeurera vrai longtemps encore, grâce aux solitudes de l’Afrique ; quant au reste du globe, le temps presse, les races latines n’ont pas un instant à perdre, s’il leur répugne de s’en voir définitivement exclues. Les Anglo-Saxons étreignent le monde, et si les destins s’accomplissent, comme le prédisent déjà des hommes auxquels l’ar-