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EXPLORATION DU MÉKONG.

gramme que nous avions à remplir, notre long séjour dans la vallée du Mékong, nos excursions multipliées sur les deux rives du fleuve, ont redressé les erreurs, levé les voiles, fixé les hésitations qui avaient jusqu’à présent conduit les géographes décrivant la zone orientale de la péninsule indo-chinoise à des solutions fausses ou incertaines. Les sinuosités du Mékong, les caprices bizarres, la direction prolongée de son cours vers l’ouest à la hauteur du dix-huitième parallèle, l’importance de ses affluens, le régime et le volume de ses eaux, et, si j’ose le dire, la constatation de son individualité, qui persiste jusqu’à la fin contrairement à une opinion accréditée[1], la certitude de son entrée dans le Yunan, où il reçoit les eaux du lac de Tali, et dans le Thibet, où il prend ses sources, tous ces points obscurs ont été éclaircis ; en un mot, nous avons rapporté des notions précises sur la plus grande partie d’un fleuve immense qui naît au milieu des neiges et achève son cours sous les ardeurs du soleil. D’un autre côté, des observations exactes et des données probables sur les autres fleuves de l’Indo-Chine[2], sur leur position respective à divers points de leur parcours, sur la délimitation de leurs bassins, en y joignant les renseignemens recueillis sur la partie la plus inconnue de la Chine elle-même, voilà ce que je demande la permission d’appeler les découvertes de l’expédition dirigée par M. de Lagrée sur le terrain de la géographie. Ces découvertes constituent assurément la meilleure part de notre butin, et je suis d’autant plus à l’aise pour le constater que je n’y ai pas directement concouru.

En matière politique et commerciale, pour avoir été couronnés de moindres succès, nos efforts ne sont pas cependant demeurés stériles.

En ne touchant pas aux sujets approfondis par M. de Lagrée avant le commencement du voyage, je rappellerai seulement la lumière que les explorations de la commission lui ont permis de jeter sur l’œuvre d’absorption persévérante que la cour de Bangkok poursuit dans l’Indo-Chine. Cette absorption s’opère à la faveur des embarras créés par les Européens à ses anciens rivaux les Annamites et les Birmans, travail opiniâtre de destruction qui n’a laissé subsister de la nationalité laotienne qu’un souvenir, et de Vien-Chan, son centre principal, que des ruines amoncelées. C’est encore cette

  1. Celle qui admet la réunion du Mékong et du Ménam.
  2. Le Ménam et le fleuve du Tonkin ne sont, relativement à leurs puissans voisins, que des cours d’eau secondaires, qui prennent naissance dans les dernières ramifications des monts Himalaya. L’Irawady, la Salween, le Mékong et le Kin-cha-kiang au contraire pénètrent ensemble jusque dans le cœur du grand massif. Ces trois derniers fleuves suivent, en se rapprochant de leurs sources, une direction longtemps parallèle.