Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
593
EXPLORATION DU MÉKONG.

de rapides qui commencent aux frontières du Cambodge, et font du Mékong une artère à peine utilisée par les pirogues ! La navigation à vapeur, qui de par les traités s’arrête aujourd’hui à Han-kao, ne saurait manquer de briser un jour ces entraves, et l’existence de nombreux dépôts houillers dans le bassin et sur les rives mêmes du Yang-tse-kiang rend l’extension de la navigation à vapeur plus probable encore. À défaut des Européens, les Chinois eux-mêmes seront tentés sans doute d’employer sur le Fleuve-Bleu ces moyens de transport, dont ils ont pu apprécier la célérité dans le trajet de Hankao à Shang-haï, trajet qu’ils font en grand nombre abord des steamers américains. Dans quelle mesure les rapides, échelonnés à de longs intervalles de I-chang à Souitcheou, seront-ils un obstacle au développement de cette navigation ? Cette question échappe à ma compétence personnelle, et je ne l’aurais pas abordée, si je n’avais eu pour collègues des marins dont l’avis s’est trouvé conforme à l’opinion émise en 1861 par le capitaine Blakiston[1] et ses compagnons de voyage. D’après cette double autorité, ce n’est qu’à la condition d’adopter un mode de construction particulier que les navires à vapeur pourraient remonter le Fleuve-Bleu sans danger depuis les rapides de I-chang jusqu’aux frontières du Yunan ; encore est-il possible que dans certains passages il soit toujours nécessaire de se servir de remorques et d’amarres. Cette opération, qu’il n’y aurait pas lieu d’ailleurs de répéter souvent, serait un inconvénient minime en présence des avantages immenses qu’offrirait à la politique et au commerce l’établissement d’un service à vapeur sur un fleuve qui traverse la Chine entière de l’une à l’autre extrémité, et dont aujourd’hui les jonques ont grand’peine à refouler le courant. Quand le vent cesse de gonfler leurs voiles, c’est à force de bras que les Chinois remontent le cours du Yang-tse ; ils rament debout et maintiennent de l’ensemble dans leurs mouvemens en poussant des cris cadencés. Plus heureux, notre équipage travaillait mollement ; il ménageait ses forces pour le retour. Nous touchions au but en effet ; des palais sur les rives et des palais sur l’eau, des consulats et des steamers, voilà ce que nos yeux, lassés de chinoiseries, cherchaient à découvrir, et voilà ce qu’ils aperçurent enfin en jetant l’ancre devant Hankao.

Cette ville, située sur les rives gauches du Yang-tse et d’un affluent considérable de ce dernier, le Han, est en quelque sorte le troisième quartier d’une immense cité, dont les deux autres parties, construites en face d’elle, sur les rives droites des mêmes cours d’eau, s’appellent Hanyan et Vouchang. L’abbé Huc estimait à

  1. Five months on the Yang-tse, by Thomas Blakiston ; London 1862.