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EXPLORATION DU MÉKONG.

sont nombreuses sur cette route fréquentée qui relie le Yunan au Setchuen par Souitcheou-fou ; mais ce sont généralement des cloaques où les hommes et les animaux vivent dans une insupportable promiscuité. Le fumier charme la vue de ce peuple agriculteur sans blesser son odorat, et, ces utilitaires estiment qu’il n’y a pas lieu de se cacher pour accomplir ce qu’ils regardent comme une œuvre avantageuse et productive. Les lits fournis par l’aubergiste consistent en épais paillassons sur lesquels chacun est libre, de placer des coussins. Ces paillassons sont inusables, et tout voyageur qui passe y laisse son tribut de vermine ; ils recèlent ainsi des légions d’insectes immondes, et nous nous sommes trouvés plusieurs fois dans le cas de nous arrêter pour faire bouillir nos vêtemens et nous frictionner les membres avec de l’eau-de-vie de riz dans laquelle nous faisions infuser du tabac. La plupart des hôtels sont tenus par des hommes venus du Kiangsi, l’une des provinces où l’on fabrique le plus de porcelaine et qui envoie chercher au Yunan une partie des sels-de plomb employés dans la préparation des vernis.

La ville de Tchao-tong est le dernier chef-lieu de département du Yunan. Ses rues sont remplies d’une boue noircie par le charbon et sans cesse piétinée par les chevaux et les mulets des caravanes. Elle est populeuse, bien que le principal mandarin, qui nous rend visite, exagère évidemment en portant à 80, 000 le nombre des habitans. En réduisant ce chiffre d’un bon tiers, on laisse encore une part assez large à la vanité du magistrat municipal. Ce qui paraît d’ailleurs manquer au plus haut point à ce fonctionnaire, c’est le sentiment de la mesure. Au dîner qu’il nous a offert, une incroyable quantité de plats ont paru sur la, table. Ce festin est le dernier auquel nous ayons été invités par des Chinois. L’occasion ne pouvant donc plus se retrouver d’indiquer ce que prescrit en pareille circonstance le code de la civilité puérile et honnête dans le Céleste-Empire, je saisis celle-ci, et j’emprunte au livre du père Duhalde quelques-unes des formalités essentielles observées par les gens de bonne compagnie quand ils se traitent.

« Un festin doit toujours être précédé de trois invitations, qui se font par autant de billets qu’on écrit à ceux qu’on veut régaler. La première invitation se fait la veille ; la seconde se fait le matin du jour destiné au repas, pour faire ressouvenir les convives de la prière qu’on leur a faite et les prier de nouveau de n’y pas manquer ; enfin la troisième se fait, lorsque tout est prêt et que le maître de la maison est libre, par un troisième billet, qu’il leur fait porter par un de ses gens pour leur dire l’impatience extrême qu’il a de les voir… Suivant les anciens usages de la Chine la place d’honneur se donne aux étrangers, et parmi les étrangers à celui qui vient de