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LA VRAIE ET LA FAUSSE DÉMOCRATIE.

également légitimes et sacrées. Qu’y a-t-il au fond de ces théories abstraites ? Je me défie à première vue, en matière si contingente, des principes absolus et du prestige de ces raisonnemens qui traitent la politique, une science de réalités, comme une science de quantités idéales, comme une géométrie ou une algèbre. Cette première impression, toute d’instinct, est singulièrement confirmée par la réflexion. Au nom de principes métaphysiques fort contestables, on prétend interdire à un peuple le droit de choisir la forme sous laquelle il lui convient de vivre ! On prétend même choisir pour lui ! Je suppose que, tout bien considéré, une nation estime que la forme monarchique est pour elle un élément de prospérité, que ses intérêts et ses affaires ont besoin d’ordre et de stabilité, que dans un pays tour à tour inerte et emporté il est bon d’éviter les occasions trop fréquentes de crise, et autant que possible de placer au sommet des institutions un pouvoir qui ne soit pas soumis à la réélection. Cette nation peut se tromper dans ses appréciations, oui, certes ; mais ce qui n’est pas contestable, c’est qu’elle fait acte de légitime souveraineté en choisissant la forme de gouvernement qu’elle pense être le mieux en harmonie avec ses intérêts. Eh quoi ! on viendra sérieusement soutenir qu’elle viole son propre droit en choisissant ainsi, parce qu’elle n’a pas le pouvoir de se lier elle-même ! Qu’on lui démontre que ses alarmes sont vaines, qu’elles ne survivraient pas à une expérience sérieuse des conditions et des mœurs de la forme républicaine, qu’il y a de grands avantages dans la république, où le pouvoir n’est pas exposé aux retours possibles du gouvernement personnel ni aux hasards de l’hérédité. Soit, je comprends cette manière de raisonner ; je ne conçois pas celle qui consiste à interdire à un peuple le libre exercice de sa volonté, et qui, sous prétexte de faire mieux respecter par ce peuple lui-même sa souveraineté, la lui retire, s’il ne s’en sert pas selon la formule du parti.

On nous parle, en style hyperbolique, de l’inféodation du droit populaire aux mains d’un homme et d’une famille, de la confiscation du droit imprescriptible des générations futures. Le droit populaire inféodé aux mains d’un homme ! En l’an de grâce 1870, sauf quelques artisans obscurs de réactions impossibles, qui donc peut demander ou craindre de pareilles choses ? Est-ce que la souveraineté nationale abdique parce qu’elle choisit librement la forme monarchique, si elle a soin de la maintenir en harmonie avec des institutions libres ? Ne peut-elle retenir ce qu’il y a d’essentiel dans le droit de la souveraineté, le droit d’intervention régulière et de contrôle perpétuel ? Ne peut-elle garder non-seulement la direction générale, mais le dernier mot dans toutes les grandes affaires ? Il est clair que la participation de tous au gouvernement s’exerce