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LA VRAIE ET LA FAUSSE DÉMOCRATIE.

point conformes aux décisions des fortes têtes du parti. Elle est la liberté même à sa plus haute expression, puisqu’elle est la liberté de sanctionner ce que la raison supérieure de ses penseurs et de ses : hommes d’état a décidé pour elle. — Ou le raisonnement que nous venons de reproduire n’a pas de sens, ou il a ce sens-là, cette portée, cette conclusion. On veut persuader au suffrage universel que non-seulement il est incompatible dans son essence avec toute autre forme que la forme républicaine, mais qu’il n’a même pas le droit de choisir autre chose que cette forme, qu’en le faisant il viole non-seulement les convenances et les harmonies de sa nature, mais je ne sais quel pacte mystérieux et sacré avec un principe d’ordre transcendant.

Je remarque deux choses dans tous les raisonnemens de ce genre : un excès de logique, inapplicable à cet ordre de questions, et comme un vague mysticisme qui recouvre d’une fausse solennité des idées creuses. Qu’est-ce donc que ce droit idéal, absolu, d’une certaine forme de gouvernement, droit antérieur et supérieur même à la volonté du plus grand nombre, sinon la reconstitution-du droit divin au profit de la république avec une contradiction de plus, puisqu’on ne semble ici invoquer la souveraineté nationale que pour la sacrifier dans les règles ? Il y a là quelque chose comme une religion de sectaires, avec des exagérations qui ressemblent ! bien à celles des autres religions, et qu’on appellerait ailleurs du fanatisme. — N’est-ce pas dans cet ordre de sentimens exaltés qu’un orateur du parti se plaçait l’autre jour encore, quand il célébrait, en style d’apocalypse, le miracle de la révolution de février, « cette explosion volcanique, spontanée, de la conscience française, » révolution unique, merveilleuse, qu’il admire, « parce qu’elle est sortie des entrailles du peuple, parce qu’elle s’est faite malgré tout le monde ! » Ce malgré tout le monde est pour nous confondre et pour confondre avec nous la logique et les principes. Touchant hommage à la souveraineté populaire que cette idolâtrie d’un fait accompli, en dépit des volontés qui la composent, par opération mystérieuse ! L’orateur que nous citons d’autant plus volontiers qu’il exprime les sentimens, les tendances de son parti avec une franchise d’éloquence à laquelle nous rendons toute justice, devrait bien faire à son talent le sacrifice de ces lieux-communs du mysticisme révolutionnaire, sacerdoce de l’idée, apostolat, mission de la révolution, révélations dans les éclairs et les foudres du Sinaï démocratique et social. La politique est une science expérimentale, rien de plus, rien de moins. Elle est plus qu’un art, mais elle n’est pas une théorie pure. Si cela est vrai, et je ne pense pas que personne puisse sérieusement le contester, il ne faut à aucun prix de surnaturel dans la politique, pas plus dans l’intérêt de la républi-