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velle proposition était à peine écoulé que Schimmelpenninck reçut sous pli de Paris un traité et un projet de constitution, tous les deux bâclés en dehors de toute participation du gouvernement batave, tous les deux déjà signés et paraphés à Paris même. La commission les envoyait, confuse de s’être vue dans la nécessité d’outre-passer ses instructions, mais convaincue qu’à ce prix seulement elle avait pu éviter au pays les plus affreux malheurs. L’empereur lui avait forcé la main par de nouvelles menaces, il n’avait voulu se prêter à aucune discussion contradictoire, et, sous peine de voir tomber la foudre sur la malheureuse Hollande, il avait fallu se soumettre. Si, dans les dix jours, le traité et la constitution élaborés à Paris ne revenaient pas avec la ratification de leurs hautes puissances, dont le titre officiel n’avait jamais été plus ironique, il fallait s’attendre à tout.

Schimmelpenninck rassembla une dernière fois la grande-besogne et déclara que, pour lui, il ne consentirait à aucun prix, sous le coup d’aucune menace, à sanctionner un pareil attentat à la souveraineté nationale, qu’il refusait toute participation ultérieure à une pareille négociation, et qu’en conséquence on n’obtiendrait pas de lui qu’il provoquât la ratification du corps législatif. La majorité respecta cette décision, dictée par la conscience ; mais elle était, elle aussi, dominée par la terreur, et il fut résolu que, puisqu’on avait épuisé tous les moyens que conseillaient la prudence et le patriotisme, il n’y avait plus qu’à céder à la force. La ratification serait donc accordée, mais seulement au nom de la grande-besogne, le corps législatif ne pouvant légalement être appelé à en délibérer. C’était laisser une petite porte entre-bâillée qui servirait peut-être un jour à sortir d’une constitution consentie seulement par une assemblée dépourvue d’autorité officielle. L’empereur remarqua-t-il cette déviation de ses ordres ? Le fait est qu’il se déclara satisfait, et au surplus, avec les vues que nous lui supposons sur l’avenir de la Hollande, l’essentiel pour lui était qu’on en finît promptement, que l’on pût s’appuyer sur quelque chose qui ressemblât de loin à une manifestation du vœu national en faveur de Louis ; quant à l’avenir, il s’en chargeait.

Le peuple hollandais, instruit tardivement de ce qui se passait, partageait en grande majorité les regrets, mais aussi les craintes de ses notables. Comme eux aussi, il sentait qu’il n’y avait rien à faire. Il y eut bien quelques velléités d’opposition républicaine ; il parut des pamphlets, entre autres celui d’une républicaine, Maria Hulshoff, qui fit honte aux hommes de leur lâcheté. le ton dominant fut celui de la résignation. Puisqu’il y avait force majeure, disait-on, les murmures seraient inutiles ; autant valait se soumettre à une situation qu’on ne pouvait éviter sans tomber dans des maux pires en-