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LA HOLLANDE ET LE ROI LOUIS.

IV

On se rappelle que le conseiller-pensionnaire Schimmelpenninck avait dû faire la désagréable découverte qu’il ne plaisait plus à celui qui l’appelait encore son cher et grand ami, et que la république batave était destinée à rejoindre la république française dans le tombeau du passé. C’est alors surtout qu’il dut sentir la faute énorme qu’il avait commise en signant avec Napoléon le contrat qui faisait de lui le premier magistrat de son pays, de par la grâce d’un chef étranger. Il est vrai que l’assentiment populaire avait ratifié sa candidature ; mais que signifient aux heures du danger ces votes populaires dont on peut toujours dire que, forcés par les circonstances, privés de la liberté du choix, ils n’ont d’autre valeur que celle que leur a prêtée une nécessité momentanée ? Il est évident par tout ce que j’ai lu des mémoires et des écrits du temps que l’idée d’avoir un roi ne plaisait pas du tout aux Hollandais. C’est peut-être le seul point sur lequel l’ancien patriciat, les orangistes et le parti patriote fussent parfaitement d’accord. Rien n’eût été plus facile que d’agiter l’opinion et de susciter par là des difficultés graves à l’installation du nouveau souverain ; mais Schimmelpenninck ne pouvait moralement donner le signal d’une résistance ouverte. Outre les dangers qu’elle eût provoqués, lui qui n’avait eu d’introducteur sérieux et d’appui solide que le bras impérial, lui qui avait accepté un véritable rapport de vassalité, comment pouvait-il lever l’étendard de la révolte contre son suzerain de fait ? Il se flatta encore un moment du vague espoir que des représentations pressantes modifieraient les idées de l’empereur. Ver Huell reçut pour instructions de tranquilliser autant que possible sa majesté sur l’état de l’organe visuel de son cher et grand ami, sur la nomination éventuelle du successeur, en lui offrant même de se concerter avec lui pour que le choix qui serait fait lui présentât toute garantie ; mais il eut ordre aussi de repousser catégoriquement toute idée de gouvernement héréditaire en Hollande. Ver Huell s’acquitta sans doute de sa mission ; mais, pour tenir tête à l’empereur avec quelque fermeté, il aurait fallu pouvoir compter sur un homme moins ébloui par le prestige personnel de Napoléon. L’empereur reçut froidement les représentations, et répondit simplement que sa résolution était irrévocable. En même temps arrivait la triste nouvelle que la belle colonie hollandaise du Cap était tombée au pouvoir des Anglais, malgré la courageuse défense du gouverneur Janssens. Ce fut un nouveau grief contre la Hollande, qu’il fallait rattacher plus étroitement au système politique de la France, qui, se montrait toujours plus anglaise