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LA HOLLANDE ET LE ROI LOUIS.

général guillotiné. Ses timides remontrances n’eurent aucun effet. Il suivit son frère en Italie, et, malgré les succès qui signalèrent cette campagne, il sentit se refroidir tout à fait le goût déjà médiocre qu’il avait pour la guerre. Ce n’est pas du tout qu’il manquât de courage ; il en donna des preuves au siège de Pavie, aux batailles de Rivoli et d’Arcole. Dans cette dernière rencontre, il sauva, paraît-il, en risquant sa propre vie, celle de son frère, qui s’était embourbé sur la berge du fleuve en un lieu très exposé ; mais les maux de la guerre, les scènes de carnage, la grossièreté militaire, les instincts pillards de soldats démoralisés à la fois par les privations et les triomphes, révoltaient sa délicatesse. Déjà sa santé avait souffert de cette existence bien rude pour un si jeune homme. Il était tombé plusieurs fois de cheval. Il s’était luxé le genou en sautant d’une voiture dont les chevaux s’étaient emportés. Il rêvait la tranquillité, le commerce des honnêtes gens, le culte des lettres. Il était romanesque et habituellement taciturne. De retour à Paris, il s’éprit d’amour pour une jeune personne qu’il avait rencontrée dans le monde, et dont le nom est resté un secret. C’était une vraie passion de roman, et il se flattait de l’idée qu’elle était partagée. Il pensait sérieusement à épouser sa bien-aimée, mais son terrible frère, qui pourtant avait fait un mariage d’inclination peu réfléchi, n’entendait pas qu’on se mariât dans sa famille autrement qu’il ne le désirait. La jeune demoiselle était de bonnes mœurs, de famille honnête, mais obscure. À son insu, Louis fut surveillé. L’expédition d’Égypte allait commencer. Il devait rejoindre son frère au bout d’un certain temps qu’on avait jugé nécessaire au rétablissement complet de ses forces. Tout à coup l’ordre lui fut intimé de précipiter son départ. Il ne fit pas un long séjour en Égypte, et revint en France chargé d’une mission pour le directoire. Il accourait à Paris, plein d’espoir, ravi de retrouver celle qu’il aimait. Pendant son absence, on l’avait mariée avec un autre.

Cette amère déception eut une fâcheuse influence sur ses goûts et son caractère. Depuis lors il se considéra comme destiné par un injuste sort à être toujours la victime des ambitions de son frère, sans qu’il lui fût possible de se soustraire à cette sujétion. Cette pensée empoisonnait les incontestables avantages qu’il devait à sa glorieuse parenté. Il se croyait condamné à vivre accablé d’honneurs et abreuvé de chagrins. Napoléon, par la suite, s’est beaucoup plaint de ses frères. Il les accusait d’avoir largement contribué à ses revers. La vérité est que ses frères durent constamment ou se révolter contre lui ou pâtir tout les premiers de son despotisme. Il se croyait et il était certainement leur supérieur à tous. Pourtant, et en vertu du vieil adage que nul n’est prophète aux yeux des siens, il faut recon-