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tâcha, quoique sans grand espoir, de détourner, s’il était possible, le coup dont sa patrie et lui-même étaient menacés.

Mais nous devons interrompre notre récit pour étudier d’un peu plus près ce prince Louis dont les destinées allaient se mêler si intimement à celles de la nation néerlandaise.


III

Louis Bonaparte naquit à Ajaccio le 2 septembre 1778, quatrième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Lætitia Ramolino. Son enfance n’offre rien de remarquable, si ce n’est qu’il fut pendant plusieurs années sous la direction immédiate de son frère Napoléon. Destiné à l’état militaire, il partit au moment du siège de Toulon pour l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne, afin d’y subir les examens d’admission dans cette arme spéciale. Il avait quinze ans à peine, et il tombait à Lyon au beau milieu des journées les plus sombres de la crise révolutionnaire. Il est facile de comprendre qu’un pareil spectacle fit sur un esprit encore si jeune une impression peu favorable à la cause de la révolution. À Chalon-sur-Saône, il apprend que l’école de Châlons-sur-Marne vient d’être dissoute à cause du mauvais esprit qui y régnait. Il doit retourner dans sa famille ; mais dans l’intervalle Toulon venait d’être repris par les Anglais, et son frère Napoléon de marquer sa place parmi les officiers d’avenir. Devenu commandant en chef de l’artillerie à l’armée des Alpes, Napoléon prit son jeune frère avec lui en lui faisant donner le grade de sous-lieutenant attaché à l’état-major. Nommé ensuite capitaine d’une compagnie de canonniers volontaires de Saint-Tropez, Louis put se rendre de nouveau à Châlons-sur-Marne, dont l’école venait d’être réorganisée. Il paraît que l’esprit qui animait les futurs officiers d’artillerie était antirépublicain, et Louis dit lui-même dans ses Mémoires[1] qu’il sortit de l’école imbu des mêmes principes réactionnaires. Cependant il n’était pas possible à un Bonaparte de rompre ouvertement en visière avec une révolution à laquelle sa famille et lui devaient tout. Déjà se révélait en lui ce conflit des inclinations personnelles et des exigences de la situation officielle qui devait jouer un si grand rôle dans sa vie. Après le 13 vendémiaire, appelé près de son frère à Paris, il fit la connaissance de la famille de Beauharnais, qui ne lui plut guère, et ce fut un de ses premiers chagrins que de voir son frère, entraîné par une passion habilement stimulée, s’unir, malgré la disproportion des âges, à la veuve du

  1. On donne et l’on peut en effet donner ce nom aux trois volumes intitulés Documens historiques et réflexions sur le gouvernement de la Hollande, publiés par l’ex-roi à Paris en 1809.