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LA HOLLANDE ET LE ROI LOUIS.

Schimmelpenninck tint bon, et il se rendit. Notons que déjà, dans une lettre confidentielle écrite le 21 janvier 1805 à van der Goes, il parle, mais encore avec insouciance, des bruits qui couraient sur l’intention qu’on prêtait à l’empereur de mettre un de ses frères à la tête de la nation hollandaise sous un titre quelconque. Il faut que Napoléon ait feint lui-même des projets tout contraires dans ses entretiens avec Schimmelpenninck, car celui-ci n’accordait aucune créance à ces rumeurs, qui, un an plus tard, allaient se changer en réalité. Il se croyait l’homme nécessaire, the right man in the right place, et, pour tout dire, la perspective du pouvoir suprême l’ensorcelait ; mais, connaissant bien ses compatriotes, il résistait à l’empereur quand celui-ci le pressait de se faire investir par le vote national d’un pouvoir héréditaire. Il savait qu’il ne l’obtiendrait pas. Il préférait, quant à lui, une magistrature suprême élective, analogue à celle du président des États-Unis. À cette ouverture, l’empereur fronça le sourcil. « Point de présidence américaine dans mon voisinage, lui dit-il ; je ne me soucie pas de voir cette forme de gouvernement devenir contagieuse en Europe. » Il fut convenu que le nouveau président de la république batave prendrait le nom modeste de raad-pensionaris, c’est-à-dire conseiller-pensionnaire, titre qui semblait ressusciter une des fonctions les plus honorables de l’ancien régime, rappelait la magistrature glorieuse des Barneveldt, des De Witt, des Heinsius, et par cela même devait plaire à des républicains, mais mentait à sa signification historique. Autrefois en effet le pensionnaire d’une ville, d’une province, des états, n’était en droit que l’exécuteur pensionné, — les autres fonctions étant gratuites, — des volontés du conseil ou des états dont il était membre, tandis que le conseiller-pensionnaire Schimmelpenninck était, de par la constitution concertée entre lui et Napoléon, plus puissant que les anciens stathouders.

Voici en effet les bases de cette constitution batave de 1805. Après un préambule assez insignifiant, elle déclarait que « le grand principe de la liberté sociale consiste en ce que la loi assure les mêmes droits et impose les mêmes devoirs à tous les citoyens sans distinction de rang ou de naissance. » On voit si nous avions tort de dire qu’en fait de liberté Schimmelpenninck ne comprenait clairement que l’égalité. Le conseiller-pensionnaire a seul l’initiative des lois. Un corps législatif, décoré du titre pompeux, presque ironique, de leurs hautes puissances, autre souvenir menteur de la vieille république, doit accepter ou rejeter les lois proposées sans y rien changer. Après un premier rejet, le conseiller-pensionnaire peut représenter la loi modifiée ou autrement motivée. D’après l’article 58, au début de la session d’automne (il y en a deux par an,