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LA PRINCESSE TARAKANOV.

fréquentes révoltes parmi les paysans entraînaient des répressions impitoyables qui provoquaient de nouveaux soulèvemens. Le sourd mécontentement et la crédulité des masses sollicitaient les imposteurs. Un médecin grec nommé Stéphano, qui se faisait passer pour l’empereur Pierre III, était apparu chez les Monténégrins. Depuis plusieurs mois, les gazettes allemandes étaient remplies des exploits d’un autre Pierre III, sorti du fond d’un couvent d’ermites. Pougatclief, ancien soldat déserteur, ancien moine, ancien bandit, traînant à sa suite toute une armée de Baskhirs, de Kirghis, de Tartares Nogaïs, de Kalmouks, couvrait de ruines les contrées entre le Jaïk et le Volga, brûlait les châteaux, massacrait les nobles. Les serfs le recevaient partout en libérateur ; il était impatiemment attendu par la populace de Moscou, et serait entré en maître dans cette ville, dégarnie de troupes, s’il n’avait eu la folie de vouloir jouer à l’empereur et de s’amuser au siège d’Orembourg. Catherine II ne s’était pas d’abord émue de ce qu’elle prenait pour une échauffourée : « Vous jugez bien, écrivait-elle à Voltaire en lui donnant des nouvelles du marquis Pougatchef, que cette incartade de l’espèce humaine ne dérange en rien le plaisir que j’ai de m’entretenir avec Diderot ; » mais elle était bien forcée de prendre l’affaire au sérieux en apprenant que Pougatchef avait battu les premiers régimens envoyés contre lui, brûlé les faubourgs de Kasan, et qu’il s’était emparé des villes de Penza, de Saratov, de Dmitrevsk. Ces événemens, grossis par la distance, étaient faits pour encourager les espérances les plus téméraires de la princesse.

Radzivil fut la première personne à qui Domanski fit part du secret qui lui avait été confié. S’il commença par élever quelques doutes, l’éloquence que donnaient à Domanski l’amour et la conviction, la véhémence de son admiration pour la princesse, surtout les détails si particuliers dans lesquels il entrait sur l’histoire de la dame d’Azof, en triomphèrent. Radzivil écrivit sur-le-champ à la princesse une lettre où il lui disait : « Je regarde, madame, l’entreprise de votre altesse comme un miracle de la Providence, qui veille sur notre infortunée patrie en lui envoyant une si grande héroïne. » Il aurait voulu voler auprès d’elle ; mais sa situation lui commandait une extrême circonspection, et il craignait, en attirant les yeux par son costume polonais, de donner un dangereux éclat à leurs relations. Il espérait toutefois avoir l’honneur de lui faire bientôt sa cour. La démarche de Radzivil, l’autorité de son témoignage, ne permettaient à personne de conserver un doute sur la naissance et les droits de la princesse ; son histoire passa dès lors pour avérée non-seulement parmi les réfugiés polonais, mais dans tout le pays, et se répandit bientôt à Paris même, à tel point qu’O-