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LA HOLLANDE ET LE ROI LOUIS.

aurait fallu comprendre ce grave changement, et, si les Hollandais tenaient à maintenir leur ancienne influence dans les conseils de l’Europe, ils auraient dû consentir à de sérieux sacrifices pour accroître leurs forces de terre et de mer. On n’avait garde, et la vieille rivalité de l’oligarchie bourgeoise et des stathouders paralysait tous les efforts qu’à défaut de grandes vues les instincts guerriers des princes de la maison d’Orange les poussaient à faire pour développer la marine et l’armée. On soupçonnait ces princes de viser à la tyrannie, et ils n’obtenaient ni un homme ni un écu. Les institutions républicaines elles-mêmes se rouillaient par l’effet du temps, et les abus qu’elles recouvraient devenaient de plus en plus intolérables. Ce qu’on avait supporté, ce qu’on n’avait pas même aperçu aux XVIe et xviie siècles, la diversité des législations variant d’une province et même d’une ville à l’autre, la mauvaise définition des pouvoirs municipaux, l’inégalité de distribution dans les pouvoirs représentatifs, la prépotence d’une église privilégiée, la faiblesse du gouvernement central, le népotisme, les manœuvres des coteries, tout cela jurait avec l’esprit nouveau, et pourtant le prestige que ces institutions défectueuses empruntaient aux beaux temps de la république leur valait encore une sorte de respect qui coupait court aux velléités de réformes. Néanmoins, à dater de la seconde moitié du siècle, le parti réformiste, fort de l’ascendant des idées qui préparaient en France la révolution, grandit en puissance et en nombre, sans toutefois réussir à introduire des changemens sérieux dans les institutions.

La famille qui, pendant près de deux siècles, avait donné à la Néerlande une incomparable série de grands hommes d’état et de grands capitaines, la famille d’Orange, semblait, comme le pays, avoir perdu de sa sève. Le stathoudérat héréditaire, aboli après la mort de Guillaume III d’Angleterre, avait été rétabli en 1747 en faveur de la maison d’Orange à la suite de l’agitation causée par l’invasion triomphante des Français en Belgique. Le peuple, se croyant trahi ou tout au moins compromis par l’égoïsme de l’oligarchie gouvernante, fit ce qu’il avait fait en 1672 quand Louis XIV était entré à Utrecht, c’est-à-dire une révolution orangiste, et Guillaume IV reçut du vote plus ou moins libre des divers états provinciaux un pouvoir en réalité plus complet que celui dont ses ancêtres avaient été revêtus. La paix d’Aix-la-Chapelle, conclue peu de temps aptes à des conditions assez avantageuses, confirma le préjugé populaire, que l’indépendance du pays était sauve tant qu’un prince d’Orange était à sa tête. Si Guillaume IV eût été un homme d’initiative et de grandes vues, l’instant était favorable pour procéder a une refonte des institutions dans un sens plus rationnel, plus égalitaire, et il eût été aidé dans cette entreprise par le petit