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que Dieu « baisserait du firmament pour ses grandes soirées; » plus d’un adopte et pratique le procédé qui assimile par exemple la lune à une « belle de nuit du ciel » ouvrant « sa fleur, » ou les vastes horizons aux « bords d’un grand vase. » — « Ne doit-il pas toujours y avoir une idée dans un mot? dit un écolier dans le drame de Faust, — Oui, si cela se peut, répond Méphistophélès; cependant il ne faut pas trop s’en tourmenter, car là où les idées manquent, les mots viennent à propos pour y suppléer. » Voilà une maxime diabolique, — l’épithète est ici de mise, — qui a conquis bien des adeptes parmi nos jeunes poètes, sans compter, cela va sans dire, nos prosateurs.

Ces réflexions s’accommodent en partie comme une préface naturelle aux Renaissances de M. Armand Silvestre. La langue, il est juste de le reconnaître, est chez lui meilleure que chez beaucoup d’autres; mais tâchons, car c’est la chose essentielle, de saisir l’idée. L’inspiration est ici tout individuelle; c’est le caractère le plus saillant de la poésie comme du roman contemporain. Chacun se donne carrière à son aise, chacun, à ses risques et périls, se taille un chemin vers les régions qui lui semblent inexplorées : c’est dire qu’entre la plupart des nouveaux poètes il n’y a d’autre lien commun que le même désir de rajeunissement et le même effort pour innover. Et d’abord, que signifie le titre choisi par M. Silvestre? Les Renaissances, c’est, pour emprunter au poète lui-même sa définition, — qui rappelle fort, à vrai dire, les définitions comiques de Molière, — la vie des morts, la vie de tout ce qui n’est pas animé ou de ce qui, l’ayant été, a cessé de l’être; c’est comme un appel de résurrection jeté à tous les éléments du monde physique et du monde moral, qui, à une heure donnée, nous paraissent rentrer dans le néant. Le panthéisme brumeux de l’auteur est formulé, comme un défi à notre entendement, dans ces quatre vers de la pièce d’introduction :

L’esprit n’habite pas sous les confusions
D’atomes entraînés dans les métamorphoses :
— C’est la forme, oscillant sous des vibrations,
Qui nous montre la vie au plus secret des choses.

Il n’est pas défendu d’essayer d’éclaircir, d’après la lecture du livre, l’idée de M. Silvestre. Tant que l’être n’a pas revêtu la forme, reçu le contour, pour parler la langue du poète, il ne se manifeste pas : il faut que f âme vienne se loger dans la forme, s’emprisonner au creuset palpable et visible, et cette âme, une fois dégagée des liens de la matière, emporte avec elle le «secret de la forme » et garde pour la pensée

Un souvenir flottant des corps évanouis.
Comme une empreinte vague et par l’âge effacée.

Prenons les arbres : les arbres recèlent en eux les débris de l’humanité, morte, en eux. se fige l’esprit, qu’on retrouve matérialisé en quelque