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REVUE LITTÉRAIRE.

Fleurs du midi, mes Primevères. — Les Renaissances, par M. Armand Silvestre. — Les Nuits persanes, par M. Armand Renaud.

Il faudrait avoir à un degré presque maladif l’amour des classifications pour vouloir grouper sous le drapeau d’une ou de plusieurs écoles les volumes de poésie dont nous allons parler. Un seul est un regain du romantisme, ou plutôt c’est presque une réédition de pièces publiées pour la première fois, il y a près de quarante ans, sous un autre titre. Qu’il nous en est revenu de ces fleurs, jadis printanières, aujourd’hui sans parfum et sans coloris ! Que d’or réputé pur en un autre temps n’est plus pour nous qu’un plomb vil ! Il n’est pas difficile de s’expliquer ces déchéances littéraires. À l’époque où le mouvement romantique était au plein de sa vogue et de son éclat, tout ce qui gravitait dans l’orbite des grands noms, tout ce qui poussait en quelque sorte sous le couvert des belles œuvres en possession de captiver la curiosité en reçut un reflet de lumière et de succès. Où les chefs passèrent, le bataillon sacré eut aisément voie frayée. L’intérêt ne suivit pas seulement le mérite et le talent, il suivit aussi le drapeau. De tout temps, en littérature comme en politique, on s’est rallié dans notre pays aux panaches connus qui ondoient parmi la mêlée. Aujourd’hui l’ancien champ de bataille est rentré dans le silence et la solitude, la gloire des généraux reste entière ; mais le menu peuple des combattans demeure ignoré, et, si l’un d’eux, se redressant du sépulcre obscur, vient réclamer sa part de renom, la postérité, prise de scrupules, demande à voir les titres et à les peser. Elle sait trop comment les simples soldats du premier ban romantique et les poètes plus modernes qu’on peut appeler les épigones du romantisme ont dévié des voies de la saine et vraie poésie. Elle en a tant vu de ces floraisons soi-disant juvéniles, où la verve, qui devrait jaillir de l’idée ou du sentiment, est remplacée par le cliquetis plus ou moins sonore qui naît du mot ou du tour ! Qui reconnaîtrait en effet notre langue française, si concrète, si logique d’allures et partant si claire, dans cet abus du terme abstrait, de l’inversion, de l’ellipse, et jusque dans ces suppressions arbitraires d’articles ? Qui donnera le nom de lyrisme et d’inspiration à ces métaphores et à ces images qui, loin d’agrandir l’idée, la rapetissent et en somme la dépoétisent ? Ces excès ont malheureusement été recueillis comme un legs charmant et précieux par toute une génération de poètes postérieurs, et voilà pourquoi il est utile d’en faire ressortir aujourd’hui encore l’insanité littéraire. Plus d’un écrivain de la jeune phalange s’attarde volontiers à comparer les couleurs empourprées du soleil couchant à des « tentures moirées »