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LA PRINCESSE TARAKANOV.

Manheim. Il avait envoyé de là un des anciens chefs de la confédération, un de ses affidés les plus sûrs, à Constantinople, pour y offrir au grand-seigneur, alors en guerre avec la Russie, le secours des Polonais disposés à combattre sous ses drapeaux, et y solliciter en leur faveur les moyens de se rendre au camp de l’armée turque.

Le bon marché de la vie, l’accueil sympathique des habitans avaient retenu dans le Palatinat une multitude de Polonais. Les plus riches demeuraient à Manheim ; les autres s’étaient établis dans les villages des environs. Parmi ceux-ci se trouvait, à Mussbach, non loin de la ville, un homme jeune encore, d’une remarquable intelligence et d’une jolie figure, appelé Domanski. Il avait servi d’abord sous le duc de Courlande ; ensuite il était entré des premiers dans la confédération, où il s’était fait remarquer en plusieurs rencontres par l’impétuosité de son courage. C’était une nature enthousiaste et passionnée, avide de gloire et de dévoûment, qui joignait une extrême timidité dans la vie commune à la plus grande bravoure sur le champ de bataille. Quoiqu’il fût d’une naissance médiocre, Radzivil l’avait pris en affection et lui témoignait une confiance particulière. Domanski avait à son service un garçon de Posen, nommé Joseph Richter, autrefois domestique d’Oginski en France, puis de la princesse de Voldomir, qu’il avait suivie en Allemagne. Il avait plus d’une fois entretenu Domanski de son ancienne maîtresse. Au mois de décembre 1773, pendant l’absence du prince de Limbourg, la princesse fit un voyage de quelques jours à Manheim. Domanski l’y rencontra et en devint aussitôt éperdument amoureux.

Elle était à peine de retour, qu’un étranger vint demeurer jusqu’à la fin de janvier à Oberstein. Il sortait peu, ne voyait personne, semblait éviter avec beaucoup de soin d’attirer l’attention ; il se promenait à la chute du jour sur un chemin qui passait devant le château, et un courrier de la poste le vit à plusieurs reprises arrêté dans l’ombre avec une personne enveloppée d’un manteau noir garni d’un capuchon, qu’il crut reconnaître une fois pour la princesse. Elle était obligée de s’entourer des plus grandes précautions pour tromper la surveillance jalouse que le prince exerçait sur elle ; il n’apprit que longtemps après cette aventure, et la manière dont il s’exprime dans ses lettres sur l’inconnu de Mussbach montre quels dangers elle aurait courus, s’il lui eût alors découvert une intrigue. Cet inconnu était-il un amant ? La princesse était femme et d’humeur peu farouche ; mais l’amour n’était pour elle qu’un moyen. Si donc elle ne négligea rien pour exalter la passion que Domanski, car c’était lui, avait conçue pour elle, il lui suffit de ne pas le repousser pour s’assurer de son dévoûment.

Or c’est précisément à cette époque que commencèrent à se ré-