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que, et qui sait si l’Opéra la reverra jamais? « Vous ne m’avez pas ménagé les sévérités, nous disait-elle en souriant, vous me trouvez mauvaise dans Alice ; c’est égal, vous me regretterez, » Mme Nilsson prévoyait-elle que Mme Marie Sass prendrait si tôt sa place, et son œil, toujours grand ouvert, perçait-il déjà les secrets desseins de la politique administrative? « Pourquoi, mon Dieu, parmi tant de pères, m’avoir justement donné celui-là?» s’écrie le don Carlos de Schiller; pourquoi, parmi tant de rôles qui s’offraient pour la rentrée de Mme Marie Sass, avoir été choisir celui d’Alice, le plus ingrat de tous, un rôle où de tout temps la sveltesse, l’agilité, la grâce et la coquetterie féminines furent de tradition, et que la cantatrice avait résolument abandonné depuis ses débuts, tant elle s’y trouvait déplacée et mal à son aise? Nous aurions mainte observation à faire à Mme Marie Sass sur l’état dans lequel sa voix nous revient d’Italie; mais rien ne nous dit que les défauts qui nous ont frappé se reproduiront lorsqu’elle se montrera dans Sélika ou Valentine. Il serait vraiment par trop cruel de vouloir rendre une artiste responsable des maladresses qui lui sont imposées d’autorité par son directeur. Le principal attrait de cette prétendue reprise de l’ouvrage de Meyerbeer fut d’abord, on le sait, M. Colin, et force nous est aujourd’hui d’en revenir à M. Villaret. Il convient qu’au théâtre toutes choses soient assorties, et s’il importe que les voix des chanteurs s’harmonisent entre elles, c’est également une nécessité que leurs natures physiques n’affectent pas de grotesques disproportions. Or, à côté d’une aussi vigoureuse Alice, M. Colin devenait un Robert impossible; de ce chevalier normand si mince, si fluet sous son armure, la robuste Marie Sass n’eût fait qu’une bouchée, et comme il fallait absolument que la gentille Alice trouvât un embonpoint à qui parler, on a dû s’empresser d’aller quérir l’ancien Robert, qui, par bonheur, n’avait point encore eu le temps de maigrir dans son exil. C’est ainsi que nos plus profondes combinaisons aboutissent trop souvent à nous démontrer qu’en somme, en nous agitant énormément, nous n’avons rien fait du tout. Après force digressions, expérimentations et caracolades, petit à petit on revient à son lancer, comme on dit en termes de vénerie. C’était en vérité bien la peine de tant parler d’une distribution nouvelle à propos de cette reprise de Robert le Diable, pour se retrouver, au bout de quelques représentations, nez à nez avec la vieille affiche d’il y a dix ans : M. Villaret jouera Robert, M. Belval jouera Bertram, et Mme Marie Sass — Alice, ce qui produit des représentations détestables qui se liquident par des recettes de 11,500 francs, argument victorieux et non moins irrésistible que celui des gros bataillons!

Les répétitions du Freischütz tirent à leur fin. Encore une reprise dont nous ne nous plaindrons point, surtout si elle est conforme au texte du maître et telle que l’esprit de notre temps la réclame. Pour la question des décors et des costumes, nous savons d’avance qu’elle n’aura pas été