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cantatrices; le simple talent s’userait en pure perte à cet exercice, et Mme Dalti ne serait pas de force à soutenir la gageure; mieux vaut donc, pour la juger définitivement, attendre de la voir reparaître dans un rôle du répertoire, la Zerline de Fra Diavolo par exemple, ce bijou d’Auber délicieusement remonté, et qui pour le moment brille à la montre. Toujours peut-on dire que M. Capoul y réalise l’idéal parfait d’un brigand d’opéra-comique. Qu’en jouant, en chantant, il se manière, que le sigisbéisme en tout cela perce beaucoup, je l’accorde très volontiers; il n’en est pas moins vrai que ce prétendu ténorino sans conséquence n’a maintenant son égal sur aucune scène de Paris. Qu’on aille, par une de ces bonnes soirées de Fra Diavolo, entendre M. Capoul dans le grand trio du premier acte, dans la barcarolle du second et l’adagio de l’air du troisième, et qu’on nous dise après si c’est M. Colin qui saura jamais rien de cet art de poser le son, de phraser et de lier ensemble la voix de poitrine et la voix de tête.

La troupe de l’Opéra-Comique, où quelques brèches se sont faites, a besoin d’être surveillée, réparée. M. Sainte-Foy n’est pas remplacé, Mlle Tual, épaissie, essoufflée, ne peut plus rendre aucun service; on fera bien de l’ôter au plus vite de la Dame blanche, où c’est une pitié de la voir et de l’entendre dans ce joli rôle de Jenny, tout palpitant encore des plus aimables souvenirs. C’est donc du côté des femmes qu’il s’agit de se pourvoir : une Carvalho viendrait en ce moment fort à point pour aider à ces rééditions d’ouvrages du passé qui sont et seront toujours, aux heures difficiles, une source inépuisable de recettes. A défaut de Mme Carvalho, retenue à l’Opéra, pourquoi ne s’adresserait-on pas à Mlle Battu, talent éprouvé, comédienne intelligente et cantatrice d’une distinction rare, qui d’emblée exercerait sur le public une autorité que de longtemps à coup sûr n’aura point Mlle Priola et que Mme Zina Dalti n’aura jamais? La tête de troupe ainsi dûment formée, les ouvrages ne manqueront pas : j’en compte à l’horizon, et des meilleurs. Verdi travaille, et la sympathie toute particulière qui l’attache au nouveau directeur, se reportant sur le théâtre, nous vaudra peut-être un autre Rigoletto. En attendant, voici l’Ombre de M. de Flotow qui se dégage des brumes du crépuscule et se rapproche; ombre errante s’il en fut que cette partition, toujours en rupture de ban, voyageant sans fin de l’Opéra-Comique au Théâtre-Lyrique, et qui cette fois, il faut le croire, va mettre un terme à son odyssée. On a déjà beaucoup trop parlé de l’ouvrage de M. de Flotow, et il est grand temps que la lumière se fasse. J’en dirai autant du Paul et Virginie de M. Victor Massé; c’est toujours un gros dommage pour une œuvre d’art de ne pas être produite à l’heure même de sa venue au monde. Je comprends qu’un auteur accepte avec résignation un tel dommage quand il y est forcé, ce qui n’arrive, hélas! que trop souvent; mais se l’imposer de gaîté de cœur me semble une im-