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REVUE. — CHRONIQUE.


REVUE MUSICALE.


L’Opéra-Comique cherche sa voie, ou plutôt il essaie et tâtonne en attendant d’engager sa partie, car pour ce théâtre la voie est dès longtemps trouvée, il ne s’agit que de savoir s’y maintenir, chose d’ailleurs moins facile qu’on ne croit, vu que, si le genre ne manque pas, ce sont les auteurs et les chanteurs qui aujourd’hui manquent au genre. Ce serait bien singulièrement apprécier la situation que de vouloir introduire ce qu’on est convenu de notre temps d’appeler de grandes réformes dans un théâtre où, quand le mauvais sort cherche à faire des siennes, une reprise bien organisée du Pré aux Clercs, de Zampa ou de Fra Diavolo a suffi et suffira toujours à le conjurer. Les théories tapageuses n’ont ici rien à voir, l’Opéra-Comique est un coin de terre privilégié où, grâce à Dieu, n’a point cours ce progrès dont partout on nous assomme; sa route, à lui, c’est la routine, qu’il ne l’oublie pas et laisse dire les mécontens, qui, en pareille matière, peuvent bien être un public, mais assurément ne sont pas le public. Les Dragons de Villars, Mignon, Lara, voilà pour le moment la vraie note : ni trop ni trop peu. Entre l’Académie impériale et les Bouffes-Parisiens, il y a certes assez d’espace pour se donner ses coudées franches; mais, s’il fallait absolument pencher d’un côté, mieux vaudrait encore que ce fût du côté de la rue Le Peletier. Gardons-nous surtout de l’opérette et de son affreuse contagion, tenons-nous à égale distance et de la cascade et du genre exclusivement ennuyeux : ni Robinson Crusoé ni Déa. Si nous étions directeur de l’Opéra-Comique, nous ne voudrions pas d’autre programme. Sans aller aussi loin que Pascal, qui, après avoir écouté tout au long un beau chef-d’œuvre de tragédie classique, se demandait : « Qu’est-ce que cela prouve ? » il nous est souvent arrivé, en voyant tel ouvrage que l’on représente, de nous dire : A quoi bon jouer de pareilles choses?

Prenons cet opéra de Déa pour exemple. Où est l’intérêt, la raison d’être d’un semblable spectacle? Comme action dramatique, cela touche à l’enfance de l’art; imaginez un conte moral de Marmontel ou de Mme de Graffigny dialogué et mis en poésie par le bonhomme Bouilly. Nous n’avions jusqu’ici que Jaguarita et l’Africaine, c’était donc le cas d’inventer une couleur nouvelle. Va donc pour les sauvages et les sauvagesses; encore la tribu des Alpanchas en guerre avec celle des Alcofribas! Une pauvre mère a perdu sa fille, traîtreusement enlevée par les Peaux-Rouges. Le Tonnerre qui marche a poussé l’oubli des bienséances jusqu’à venir sous les murs mêmes de Lima cueillir la Fleur qui chante, audace à tous les points de vue fort criminelle; mais où la gaîté commence, c’est quand on voit