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situation. Il y a des hommes libéraux sans aucun doute, il n’y a pas une force libérale organisée, et la liberté vraie, réelle, est toujours ce dont on s’occupe le moins.

Qu’on regarde de près dans cette confusion de notre vie politique : est-ce qu’il s’agit le plus souvent de liberté ? Pas le moins du monde. C’est une question de gouvernement qui est au fond de tout. Il s’agit de savoir qui gouvernera, qui aura la main sur la machine par laquelle tout est mis en mouvement. Sera-ce l’empire, sera-ce la république ? Là-dessus les irréconciliables les plus violens se confondent avec les impérialistes les plus autoritaires. Dès qu’il y a un vote, c’est à l’extrémité qu’on va tout de suite ; il s’agit toujours de démolir ou d’imposer quelque chose. On tient absolument à nous gouverner, lorsque nous ne tenons, en vérité, qu’à être gouvernés le moins possible, ce qui est après tout la liberté vraie et pratique. Voilà pourquoi il serait utile qu’après toutes nos expériences il se formât un parti indépendant et modéré, s’inspirant largement de ces idées, beaucoup moins occupé d’escalader le pouvoir que de développer patiemment toutes les libertés sérieuses et efficaces, les libertés dont tout le monde profite et qui ne menacent personne. Le plébiscite, en mettant le gouvernement hors de cause, est peut-être l’occasion la plus favorable pour la formation de ce parti, où peuvent se rencontrer tous les hommes qui ne comptent que sur la propagande pacifique de leurs idées. Si on ne fait pas cela, nous continuerons à nous agiter et à nous dire libéraux sans avoir plus de liberté réelle, et nous aurons encore plus d’une crise comme celle que nous Venons de traverser, sans y trouver autre chose que des déceptions toujours nouvelles, des espérances et des désillusions également exagérées après la bataille. Nous aurons des trêves, nous n’aurons pas la vie féconde et sûre dans une liberté incontestée.

Ce plébiscite victorieux, le grand fait et le seul fait d’aujourd’hui, a donc des enseignemens pour tout le monde, pour le gouvernement comme pour les partis. C’est une révolution de plus, une révolution pacifique cette fois. On ne compte plus désormais dans notre histoire ces transformations à travers lesquelles la France continue heureusement à être la France, et les hommes se succèdent après avoir dit leur mot sur cette scène mobile. L’autre jour, au moment même où l’on allait voter à Paris et dans la France entière, dimanche matin, mourait silencieusement un homme qui, lui aussi, a joué son rôle et qui a éié une des plus brillantes personnifications contemporaines de l’esprit français : c’est M. Villemain, le secrétaire perpétuel de l’Académie Française. Il s’est éteint sans bruit, vaincu par l’âge ; il avait plus de quatre-vingts ans, et depuis un demi-siècle c’était un personnage de la publique et de la littérature. Depuis longtemps, M. Villemain avait quitté la vie publique, et, à vrai dire, il n’avait jamais été que par occasion dans la politique