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n’est point cependant sans quelque importance, puisque M. Émile Ollivier, qui reste naturellement le chef du cabinet, qui paraît l’homme indispensable, ne peut suffire à tout. Orateur, il l’est à coup sûr, et il tient sa place au premier rang un jour de bataille ; mais il n’est pas à lui seul un ministère, et c’est un ministère qu’il faut.

Cette reconstitution ministérielle, une large et sérieuse reconstitution, est d’autant plus pressante aujourd’hui que les circonstances sont plus décisives, et que la victoire du 8 mai, au lieu de diminuer les difficultés, les a peut-être augmentées au contraire d’une certaine façon. Entendons-nous. Il ne faut pas croire qu’on provoque une crise comme celle qui vient d’agiter le pays sans mettre tous les esprits en mouvement, sans exciter partout des espérances qui demandent à devenir des réalités, sans avoir à compter enfin avec cet élan de confiance qu’on a sollicité, et qui se manifeste par des millions de voix. Il y a les ambitions personnelles, les impatiences d’action, les désirs irréalisables, tout ce qui se mêle dans ces votes où le peuple, ce grand millénaire, cherche invariablement un morceau d’Eldorado. Au lendemain de ces scrutins, il s’élève une sorte de sentiment assez impérieux, un besoin de savoir ce qu’on va faire de cette force qu’on a demandée et qu’on a reçue. Le pays veut naturellement le prix de la confiance qu’il a témoignée. Le gouvernement, nous disait-on tout récemment, ressemble aujourd’hui au chef d’une grande entreprise qui appelle de nouveaux capitaux pour doubler ses affaires. Les capitaux affluent gagnés par l’attrait d’un bon placement ; mais ils sont exigeans, ils réclament de prompts dividendes. — Le pays, lui aussi, veut ses dividendes, de bonnes lois, des réformes utiles, de libérales mesures, l’activité rendue aux affaires, — et il faut prendre garde, si les dividendes ne viennent pas, c’est la réaction qui viendra. Au premier vote, — et il va y en avoir deux ou trois cette année même, pour les conseils généraux, pour les conseils municipaux, — l’armée de 7 millions de voix sera de nouveau débandée. On ne sera pas plus avancé qu’on ne l’était il y a quelques mois.

Voilà la situation en face de laquelle se trouve le gouvernement. M. Émile Ollivier ne doit pas s’y tromper : c’est pour lui maintenant une heure décisive. On a pu jusqu’ici lui tenir compte des embarras d’une transition, de toutes les difficultés d’une transformation politique, des crises successives et quelquefois violentes avec lesquelles le cabinet du 2 janvier a été obligé de se mesurer pendant les premiers mois de son existence ; il a eu à livrer toute sorte de batailles ou de semblans de batailles assurément fort gênantes pour une action politique régulière et suivie. Maintenant tout est changé, le vote du 8 mai le remet en équilibre en lui rendant la liberté pour décider, la force morale pour agir. Que fera-t-il ? Voilà la question. Une réaction nouvelle, ce n’est pas ce qui est à craindre sérieusement ; elle n’est pas dans l’intention des hommes et