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l’opinion sera d’avance acquise à ce qu’on lui demande, c’est-à-dire lorsqu’on n’en aura pas besoin. Croit-on qu’il soit facile de tirer ainsi un plébiscite du fourreau à la première difficulté, au premier conflit ? Sait-on bien ce que c’est que de mettre pendant quelques jours l’existence d’une nation en suspens, de paralyser toutes ses affaires, tous ses intérêts par la perspective d’un coup de dé à heure fixe, de créer ces agitations qui ébranlent tout ? À jouer ce jeu légèrement et trop fréquemment, le moins qu’on puisse risquer, c’est de dégoûter le pays et de l’amener à se demander si en fin de compte il a bien besoin d’une monarchie qui ne lui offre pas les garanties nécessaires de permanence et de sécurité. L’expérience d’aujourd’hui, si brillante qu’elle soit, n’est point absolument de nature à encourager les velléités plébiscitaires. Tout a marché fort convenablement, il est vrai ; à quoi cependant a-t-il tenu que les populations, faute de comprendre la nécessité du vote qu’on leur infligeait, ne soient restées chez elles froides et indifférentes ? Il a fallu, pour les amener au scrutin, un effort tel qu’on ne sera pas tenté de recommencer de si tôt. Dans cette dramatique soirée de dimanche, lorsqu’on ne recevait encore que les votes défavorables de quelques villes, le gouvernement lui-même paraît bien avoir eu ses anxiétés. À de certains momens, dit-on, M. Émile Ollivier et quelques-uns de ses collègues n’ont pu se défendre de ce trouble qu’éprouvent des hommes qui vont pour la première fois comme généraux au feu des grandes batailles du scrutin. Ils en étaient à se demander s’ils ne s’étaient pas trompés. Ils avaient raison, c’était de leur part une marque d’honnêteté et de sincérité, et c’est aussi une garantie contre le retour des plébiscites. D’ailleurs, si l’on ne se fie pas à la prudence des hommes, qu’on croie du moins un peu aux conseils de l’intérêt bien entendu. L’empereur a pu avoir un intérêt dans le plébiscite actuel, il n’a plus aucun intérêt maintenant à tenter l’aventure. Après avoir été un empereur autoritaire né d’un coup d’état, il pouvait avoir l’ambition très légitime d’être un empereur réconcilié avec la liberté et couvert de nouveau par un vote incontesté du pays. Désormais les appels au peuple ne l’aideraient pas à revenir en arrière, et, pour marcher en avant, il n’en a pas besoin. Le plébiscite n’est donc qu’une arme de luxe mise en dépôt pour les grands jours, et dont on ne pourrait se servir dans tous les cas que si l’opinion s’y prêtait ; mais à côté il y a ce dont on peut se servir tous les jours : il y a l’initiative rendue aux chambres, l’action directe du parlement sur un ministère responsable, le droit pour les assemblées de réformer la législation tout entière, d’introduire la liberté et le progrès dans l’administration publique ; il y a pour le pouvoir parlementaire tous les moyens réguliers, permanens, d’exercer son influence, même d’annuler ces armes exceptionnelles dont on pourrait le menacer. En un mot, à côté de ce droit d’appel au peuple dont on ne se servira peut-être plus, qu’on peut tenir en respect