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teur vint très tard. Je l’avais fait demander, car mon angoisse croissait d’heure en heure.

— Il faut que nous provoquions une crise, me dit-il, sinon il est perdu.

Morrik n’avait plus sa connaissance. Un bain tiède et des douches d’eau froide agirent sur lui de telle façon que de la chambre voisine je l’entendais gémir. Lorsqu’on l’eut replacé dans son lit, le médecin vint vers moi.

— Je le veillerai cette nuit, dit l’excellent homme, on ne saurait s’en tirer sans moi. Retournez chez vous prendre du repos, la journée a été rude.

Je lui dis que je préférais rester et veiller avec lui. Me voyant bien résolue, il n’insista pas. J’avais promis à Morrik de ne pas me faire attendre quand il en serait à cette extrémité.

Je m’établis dans un fauteuil devant le secrétaire, et je pris un livre par contenance, car il m’était impossible de lire. J’écoutais ce qui se passait dans le cabinet, où le docteur, assis près. de son lit, renouvelait lui-même les compresses d’eau glacée, et donnait à voix basse quelques ordres au domestique. Les mots entrecoupés et les gémissemens du malade me perçaient le cœur. C’est sa voix, pensais-je, ce sont peut-être ses dernières paroles, et tu ne les comprends pas, et lui-même ne se comprend plus. Quels adieux !

Je ne veux pas m’arrêter sur ces heures terribles, dont le souvenir me fait encore frissonner. Nous entendîmes l’horloge de la tour sonner dix, onze heures, minuit. Tout était paisible dans le cabinet. J’écoutais en retenant ma respiration, et je me demandais avec anxiété si ce calme était un bon ou un mauvais signe. Je voulus me lever pour aller vers la porte, mais cela me fut impossible ; mes jambes étaient comme paralysées, ou bien peut-être n’avais-je pas le courage de contraindre ma volonté à voir la certitude en face, étrange chose ! je me croyais si familiarisée avec la mort, et maintenant j’en avais peur comme un enfant a peur dans les ténèbres.

Je ne sais combien de temps je demeurai dans cet état. Enfin la porte s’ouvrit, et notre bon docteur entra doucement.

— Il est sauvé ! dit-il. — Ce mot m’ébranla tellement que je fondis en larmes. Il s’assit près de moi. — Vous pleurez, mademoiselle, peut-être le mot de sauvé sonne à votre oreille comme une ironie en parlant d’un malade qui était déjà condamné avant cette crise ; mais, je l’espère, cette crise même le sauvera. La nature a joué un jeu téméraire et l’a gagné. Ce n’est pas la première fois que j’assiste à semblable prodige : lutte suprême entre le système nerveux et le système sanguin, dont le résultat est de concentrer tout